ALDA
Première partie
La solitude
Alda (focalisation externe)
Une grande ville. Une jeune fille. Son âge n'a pas d'importance. Elle vit seule. Depuis longtemps, plusieurs années. Un grand appartement, trois pièces. Beaucoup de choses. Dans la salle à manger, des objets, des livres, des papiers. Des lampes, des disques, des vêtements, des meubles, des feuilles volantes, des jouets d'enfant. Beaucoup d'objets qui ont été rapportés des villes qu'elle a visitées.En France, à l'étranger. Des meubles remplis. Mais aussi des choses qui s'amoncellent, pas bien rangées, un peu de tous les côtés. Des piles de feuilles, de livres, de dossiers. Des dessins, des peintures, tous ces petits objets de décoration qui dépassent un peu dans tous les coins. Dans la salle de bains, des serviettes, des objets de toilette, des médicaments, du maquillage, dans un désordre monstre. Dans la cuisine, de la vaisselle propre, de la vaisselle sale, des fourchettes et des couteaux à droite et à gauche. Dans le bureau, toute une série d'archives, toutes les archives de son travail à l'école, au collège, au lycée, à l'université. Et puis des archives de famille, des papiers d'un autre siècle, la mémoire de sa mère, de sa grand-mère, de tant d'autres personnes croisées, rencontrées, des objets hétéroclites, des années et des années exposées là, tout en bazar,dans un grand capharnaüm. Des livres, des papiers encore, qui dépassent les uns des autres, menacent de tomber, se chevauchent et se bagarrent entre eux, les uns avec les autres. Une fenêtre s'ouvre, quatre, cinq papiers volent dans la pièce. Les objets, les papiers, c'est la mémoire mais que doit-on garder? Que doit-on jeter? Elle ne sait pas. Elle garde tout. Elle aime son bazar, son ordre à elle. C'est sa passion, son monde à elle. Dans sa chambre, des draps un peu partout, des bouteilles,des médicaments, des lampes, des bougies. Les draps sont étendus sur le lit mais d'autres sont empilés dans des caisses, comme de grandes montagnes. Des vêtements un peu partout. Sur le lit,c'est son quotidien, sa vie. Sur son bureau c'est sa vie, son quotidien. Dans la cuisine, son quotidien; dans le salon, son quotidien. Elle est chez elle, elle est bien chez elle, elle reste chez elle. En réalité, son monde, sa bulle, sa protection, ses désirs, ses peurs, ses tentations, c'est sa maison. Son appartement c'est tous ses talents. C'est une ermite, un peu autiste, un peu malade, un peu seule, un peu sensible. Tous les jours se ressemblent mais ça n'est pas grave. Tous ces visages du passé qui ressurgissent. Le positif, le négatif Les bons souvenirs, les mauvais souvenirs. Elle écrit. Sur une feuille, sur deux feuilles. Des feuilles volantes, des pensées qui volent. Elle aimerait voler, elle, mais elle ne sait pas si elle en est capable. Dans son nid, elle est bien. Oh, elle voit beaucoup de monde, des visages, tant de visages. Dans la rue, des visages, dans les magasins, des visages. Encore quelques amis, à droite et à gauche, des amis du lycée, des amis de l'université, ils viennent la voir parfois, si rarement. Elle ne fait rien, presque rien, elle profite de ses petits objets, de ses petits souvenirs, elle écrit, elle lit. Elle aime bien l'épicier, le coiffeur est sympathique, la pharmacienne est si gentille, le barman est cool. Au restaurant, toujours les mêmes visages. Le libraire est fatigant, il a l'air fatigué. Elle n'aime pas le médecin. Il pense tout savoir. Et puis le psychanalyste est un crétin. Elle va le voir de temps en temps, elle lui parle. De ses souvenirs, de son passé,de ses objets, de sa vie, sa petite vie tranquille. Il l'écoute un peu, parfois il semble s'endormir. Et puis elle rentre chez elle, fait la cuisine, le linge, le ménage, elle mange, elle se maquille. Et puis elle sort. Un ou deux concerts, une ou deux pièces de théâtre, des balades. Elle aime bien marcher. Parfois avec un ami. Souvent toute seule. Le plus souvent toute seule. La ville et ses lumières, les rues et les commerces. Elle se promène. Certains soirs, elle discute avec un garçon. C'est lui qui l'aborde. Alors elle couche avec lui. Le lendemain matin, il s'en va. Elle ne le revoit plus. Elle revoit ses quelques amis. Ils viennent la voir. De temps en temps. Elle a de la visite. Une fois par semaine.Puis une fois par mois. Elle mange, elle boit, elle fait sa toilette, elle dort, elle se réveille, se maquille. Un peu tous les jours. Et puis elle continue à écrire, à lire, à se promener dans ses souvenirs, ses objets, ses visages, à droite et à gauche. Mais certains jours c'est dur. Elle ne sort pas du tout de chez elle. Chez elle c'est bien. Dehors c'est dur. Le monde est vaste niais il est si cruel. Elle reste chez elle. Elle ne veut pas voir l'extérieur. Et puis les jours se ressemblent. Alors elle mange un petit peu, lit un petit peu, pleure un petit peu. Elle ne va plus voir le psy, elle ne descend plus au restaurant. Elle ne veut plus voir personne. Va-t-elle mourir devant sa glace? Est-ce qu'elle doit continuer à se maquiller, à manger? Des amis? Pas d'amis. Ils ne l'aiment plus. Ils ne viennent jamais la voir. Ils sont si égoïstes, ils aiment leur petite vie mais elle, elle, elle est insignifiante pour eux? Elle continue à écrire un peu. Et puis tout se renverse, les livres, les archives, les cahiers, les photos, les vêtements s'emmêlent, les draps se déchirent, les assiettes tombent par terre. Partout par terre, il y a du verre cassé, des objets cassés, elle se promène de pièce en pièce sans plus rien reconnaître, sans plus rien apprécier. A quoi tout cela sert-il? Elle fait tout tomber, elle va se coucher, elle a peur, elle a froid, elle a mal à la tête, elle a mal au ventre. Elle ferme les yeux, elle ne veut plus rien voir. Elle s'endort. Va-t-elle mourir? Oui, ce serait mieux. C'est le noir, les fantômes, les rêves et les cauchemars. L'oubli. La fin?
Alda (focalisation interne)
Je m'appelle Alda. J'écris mon journal intime depuis plusieurs années. J'ai déjà raconté tant de choses, tous les bons moments avec mes amis à l'école, et puis au collège et au lycée. Et puis les mauvais moments aussi. Tout cela représente beaucoup. Beaucoup de cahiers, beaucoup de feuilles, Beaucoup de petits livres. J'essaie de raconter le plus possible. Pour ne pas oublier, pour savoir ce qui se passait, ce qui se passe et ce qui se passera. L'oubli et la mémoire sont des sujets très complexes. J'habite dans un grand appartement. Je l'aime bien. Il y a beaucoup de lumière, surtout le matin. Alors je dessine, je regarde le lever du soleil, j'écris. Tout ce que je fais. Un peu partout. Chaque jour il y a quelque chose de nouveau. Chaque jour il y a quelque chose de beau. J'aime préparer mon maquillage. Et puis choisir mes vêtements. J'ai beaucoup de vêtements. Alors quand un ami ou une amie vient, je choisis le plus beau. Nous sortons, nous discutons. Sur tout et sur rien. Quand nous nous promenons le matin, il y a tant de couleurs. Dans les rues, dans la ville. J'aime les sourires des passants, surtout les sourires des enfants. Mais en fin d'après-midi, je préfère rentrer chez moi. Je prépare la cuisine. J'adore préparer la cuisine. Toutes les odeurs, tous les bruits. Et puis de la musique. Souvent de la musique. Je mange. Souvent toute seule mais je prépare des petits plats que je déguste. J'adore manger. En ce moment je crois que je grossis. Alors je mange moins. Je sors peu. Enfin certains jours je sors et d'autres jours, je ne sors pas. Je suis comme ça depuis longtemps. Assez longtemps. Un jour je vois quelqu'un et le lendemain je ne vois personne. Mais c'est pas grave. J'aime bien la solitude. J'aime bien les gens aussi. Leur parler. Leur sourire. Rire, discuter, se disputer, raconter des histoires, raconter des bêtises. Je suis une fille comme une autre. Je me balade. Chez moi. Dans la rue. Parfois je rencontre un garçon, je parle avec lui. Il monte chez moi. On fait l'amour. Comme ça. Mais c'est pas terrible. Et puis il s'en va. Quand il repart, tout de suite, ça me déchire. Mais on n'y peut rien. Les mauvais moments, on n'y peut rien. Alors j'agis, je joue, je bouge, je pleure et je ris. Je regarde le soleil et je suis heureuse. Heureuse ou triste, ça dépend des jours. Mais tout est beau. Même le désespoir. Le désespoir aussi est beau. Il est beau comme la nuit. Et du désespoir sort un espoir. Enfin ça dépend des jours. Les jours tristes, je repense à tous les gens que j'ai vus. Ils me disent de continuer. Alors je sors. J'invite des amis. Même s'ils ne viennent pas, je les invite quand même. Ils ne sont pas là alors j'écris. Je me répète. Je me raconte. Toujours, un peu tout le temps. Un peu tous les jours. J'écris un peu tout ce qui me passe par la tête. J'écris parce que j'aime écrire. J'écris comme je fais l'amour. J'écris comme ça. Un peu toujours. De la poésie pour rester au lit, de la poésie pour sortir du lit. Un journal pour les choses qui font mal. Un journal pour trois balles. Et des romans pour rester au courant. Pour connaître tous les cancans. Et puis je me rends compte de tout ce que j'ai écrit. Toutes les feuilles. Les feuilles du passé et celles du présent. Les feuilles volantes, les feuilles vivantes, les feuilles à la porte, les feuilles mortes. Tout ça fait un tas et puis tombe. Ca s'écroule. Alors je ramasse. Je ramasse encore et encore. Je vais ouvrir la porte, je vais dire bonjour. Un voisin qui passe, une lettre, un voisin sympa. Sinon j'ouvre pas. Un ami. Et puis pas d'ami. Alors tant pis. Tant pis pour moi. Tant pis pour tout ça. Je ris aux éclats. Je vois des gens un peu tous les jours. Je vois des gens et je fais l'amour. En leur parlant, en riant avec eux. Je vais de l'un à l'autre, sans m'attacher. Tous les jours je largue les amarres. Tous les jours j'admire des visages. Ils sont tous très très beaux. Dans leur petite vie ou dans leur misère. Dans leurs soucis ou dans leurs plaisirs. Si jolis. Si agréables. Souvent. Ou bien méchants. Souvent. Mais je les aime tous. Et puis j'aime bien ma chambre. J'aime bien mon lit. J'aime bien mes petites affaires. Mes livres et ma musique. Mon bureau et ma cuisine. Et ma fenêtre. Le soleil et le vent dans la cour. Alors je me dis que tous ces jours, ces tristes jours passés ne sont que des souvenirs. Que l'avenir est sourire et rire et joie et puis voilà. Mais à l'avenir il y a aussi des soucis, de la tristesse, du désespoir. A l'avenir il y a aussi des barrières et des chutes. Aimer la vie, aimer la pluie, aimer l'eau et le soleil. Aimer les enfants et tous les gens. Agir demain.Dormir ce soir. Se souvenir d'hier. Hier n'est qu'une feuille volante, un livre à lire ou à jeter. L'avenir, construire, voler, voyager, lutter et puis pleurer, pour aller mieux. Pleurer pour se libérer. Pleurer pour ressentir et puis pleurer, chanter. Parce qu'il y a toujours quelqu'un. Parce qu'il y a toujours une main. Tous les jours il y a l'amour, la vie, le courage, la beauté, la joie. Tous les jours il y a la fatigue, la peine, la tristesse, toutes les lois, celles qui t'enchaînent et celles qui t'aident. Continuer à aimer, continuer à parler, à penser, à écrire et à rire. Continuer à pleurer, à tomber, à marcher, à crier et à chanter. A nager et courir. Pour te rencontrer, pour toi que je ne connais pas. Pour toi, pour ma joie, pour toi qui viendras dans mes bras. Aujourd'hui, demain, après-demain, Souvent. Lutter, se bagarrer, rencontrer, bavarder. Aimer. Se jeter à l'eau, se jeter dans tes bras. Tes bras à toi. Où sont tes bras? Je ne les vois pas. Sont-ils là? Je tombe. Rattrape-moi.
Eric (focalisation externe)
Eric est un jeune écrivain. Il a une vie très simple et en même temps stimulante puisqu'il écrit toutes ses expériences ainsi que des romans. Il se lève tous les jours à la même heure, prend son petit-déjeuner et lit le journal du matin. Puis il se met à écrire. Ecrire pour que tout reste, pour ne rien oublier, toutes ces petites choses passées qui sont un miracle et qui le resteront à travers les yeux des lecteurs. Ecrire tous ces personnages que l'on a connus et que l'on ne revoit plus, pour ne pas les oublier. Ils sont tous si drôles, si ridicules, si charmants, si fous, si désespérés, si violents. Ecrire tous ces souvenirs si précieux, si douloureux. Eric fait sa cuisine. Littérature en cuisine. Cuisine en littérature. Il aime bien manger tout ce qui lui passe par la tête. Fruits, légumes, pâtes,riz. Après le repas il va faire un tour et se rend compte que les gens sont magnifiques. Il pourrait écrire une nouvelle sur chacun d'entre eux. Il écrit sur plusieurs sujets, sur un peu tous les sujets. Après avoir croisé toutes ces têtes, il rentre chez lui et se remet à écrire. Au repas du soir, il mange plus léger. Puis il se met à lire. Tous les livres qui lui passent par la tête. Tous les livres qu'il veut. Il y a tant de livres à lire. Des romans. Des classiques. Beaucoup. En fait, Eric est très seul. Il a quelques amis qu'il voit de temps en temps mais ceux-ci sont occupés à de nombreuses tâches. La maison, les enfants, le travail. De temps en temps, il invite un ami à dîner. Alors ils discutent de tout et de rien. Du monde qui tourne mal, des livres qu'ils ont lus...
Une fille de temps en temps. Des passades. Des filles qu'il ne connaît pas bien. Ou pas très longtemps. Il ne sait pas bien leur dire de rester. Ou bien c'est lui qui en a assez. Alors il leur dit de partir. Les femmes restent un mystère tout entier pour lui. Il ne les comprend pas et ne les comprendra sans doute jamais. Elles sont exubérantes, distillent une joie dans son coeur par minute, mais n'arrêtent pas une seconde de tourner, tourner comme le globe terrestre, tourner comme la galaxie, elles vont d'un endroit à l'autre et parlent, parlent, parlent sans discontinuer. Sans arrêter. Avec lui. L'une avec l'autre. L'une sans l'autre. Toutes seules, elles continueraient à parler, à raconter tout et rien, la vie, ses heurts, ses douleurs, ses joies, ses peines. Mais il n'y en a pas une qui le comprend. Alors ils tournent en rond. L'un avec l'autre. L'un sans l'autre. Il travaille à ses romans et trouve tout cela moins fatigant parfois. La plupart des soirs, ce sont les livres qui lui tiennent compagnie. Il s'endort avec eux et il peut rêver d'autre chose... Le lendemain matin, il se relève,écrit,écrit et écrit encore. Passé un temps il n'écrivait pas. Il travaillait beaucoup. En librairie. Vie trépidante et passionnante: chaque lecteur passe et puis il est déjà parti. Une question, une réponse et c'est à la personne suivante. Trier des livres toute la journée. Voir des têtes que l'on ne reverra plus, bavarder de tout et de rien avec les collègues. Et les trajets quotidiens. Le métro, le bus, le train, même le week-end. pour les salons. Tous ces gens qui s'amassent dans des salles insupportables pour crier que leur livre doit être acheté, que leur collection est la plus réussie... Les trajets, les salons, les salons, les trajets...La voiture encore et toujours, le métro, une rame après l'autre. Alors Eric se fait des réflexions à lui-même. Pourquoi les gens ne se parlent-ils pas dans les transports ou si peu? C'est pour se protéger des autres car les autres doivent être dangereux. C'est ce que la ville et la vie dans les grandes cités ont imposé à l'Homme. Il ne peut s'empêcher de suivre des comportements qui baignent dans l'inconscient collectif. Des comportements qui usent à longueur de journée mais qui ne changeront pas. Alors Eric continue de courir, de travailler, de visiter, de répondre à toutes ces questions. Tous les jours. Un jour cependant, il dit stop. Ses nerfs sont terrassés, il n'en peut plus. Il fait un break comme on dit. Il veut du calme, de la sérénité. Un quotidien plus tranquille. Et c'est ainsi qu'il commence à prendre un peu de temps pour lui-même, à écrire. Un quotidien calme, sans histoire, des rituels pour la journée, rencontrer quelques personnes et écrire ses propres expériences, ses propres joies, ses propres douleurs. Ce n'est pas se fermer au monde, c'est se donner les moyens de l'apprécier sous un jour nouveau. Le matin il se promène et rencontre des gens. Après le déjeuner, il observe les visages des gens, leurs mimiques. Le soir il lit et découvre les gens de l'intérieur à travers les romans. Il se construit son petit quotidien, tranquillement. Tous les jours sont identiques, chaque jour est unique. Tous les jours écrire, chaque jour le ciel bleu l'inspire. Tout est différent, il le sent. Tout est magnifique, il le sent, il le vit. A travers l'écriture, à travers les discussions, à travers la lecture. Le monde est toujours aussi impitoyable bien sûr. Mais les choses n'ont pas le même goût. Il avance petit à petit. Mais toujours seul en fait, profondément seul. Il écrit. Face à lui-même. C'est dur. Il faut oser. Tous ces blocages, tous ces doutes. Tous ces désirs, toutes ces expériences vécues, dures ou douces. Une femme, pas de femme. Il n'y a plus de fille dans sa vie depuis un moment. Elles sont si étourdissantes, si impitoyables, si imprévisibles, si impossibles. Le titre d'une chanson lui passe souvent dans la tête: "no woman, no cry..." Pourtant parfois, il pleure. La solitude de l'homme célibataire. Il pleure.
Eric (focalisation interne)
Je m'appelle Eric et je m'efforce d'être écrivain. Qu'est-ce que j'écris? Des nouvelles, des romans, des carnets de voyage, des critiques. Un peu de tout. Un peu tout ce qui me passe par la tête. Je peux aussi écrire sur une personne. Une personne que j'aime ou que j'ai aimé ou bien une personne que je n'ai pas supportée. Un souvenir, allez, c'est parti, je commence quelque chose de nouveau, j'invente, je trafique, je crée, je lie et je délie les fils de l'imaginaire comme ceux du réel. Ah oui ça le réel on n'y coupe pas. Même quand on est écrivain. Et pourtant il faut oser pour vraiment commencer à écrire. Une question d'argent? On n'écrit que si on a de l'argent? Je n'en suis pas sûr, les grands écrivains le prouvent bien. Ils n'ont pas ou n'ont pas eu forcément de l'argent. Et puis on n'écrit pas forcément pendant toute sa vie. On ne fait pas forcément que ça. Moi j'étais libraire avant. Oui bon j'adore les bouquins. Et puis j'ai craqué. Dépression nerveuse. Contraintes d'horaires. Les gens passaient leur temps à me poser des questions stupides. Dans une grande librairie, le rythme est trépidant, c'est à celui qui se débrouille le mieux que revient le meilleur poste. Le monde du travail est sans pitié. C'est très stimulant parfois mais la plupart du temps, c'est sans pitié. Je suis sorti du magasin. J'ai pris la fuite. Chaque jour, au boulot, j'avais des fourmillements dans les pieds, les discussions à gauche et à droite me faisaient de plus en plus mal à la tête. J'avais les yeux qui clignaient à cause de la lumière. Le rangement des livres me rendait de plus en plus confus de jour en jour. J'ai commencé par aller voir un médecin. Un psychiatre. Il me disait: "Ne vous inquiétez pas, je vais vous donner un léger médicament. Ensuite il me disait d'autres choses: "Ecoutez c'est un début de dépression nerveuse mais ne vous inquiétez pas...". J'ai tenté de continuer à travailler et j'avais une angoisse énorme en travaillant. Et puis ce fut la panique. Je suis sorti du magasin en courant. Je croisai les gens dans la rue et je pensai "Je ne veux plus les voir." Je me suis réfugié chez moi, j'ai jeté les médicaments, téléphoné au travail pour dire que je ne reviendrais plus. Je suis parti en vacances pendant trois semaines puis j'ai commencé une carrière d'écrivain. Une vie plus calme, moins trépidante, moins fatigante, moins épuisante, moins écrasante. Pas de trajets harassants. Pas de questions incessantes. Pas d'horaires insupportables. Enfin un peu de calme. Un quotidien non moins répétitif mais plus calme, fatigant mais d'une autre façon. Maintenant j'aime les visages des gens dans la rue. Je suis plus seul qu'avant mais c'est différent. Quand on est seul, on est tranquille. Quand j'ai commencé à écrire, je me suis imposé des règles simples. Le matin, je me promène dans un jardin. Ensuite je commence à écrire chez moi tranquillement. Je me fais à manger des choses très simples et ne passe plus mon temps dans les magasins, dans leurs interminables allées. J'invite parfois un ou deux amis à dîner, ils restent perplexes devant mes décisions mais moi, je m'en fous radicalement. Ne faut-il pas aimer l'autre pour ce qu'il est et non pour ce qu'on voudrait qu'il soit. Aimer l'autre et même celui qui passe dans la rue. Un regard, un sourire. Parler quelques instants avec quelqu'un dans un café. Parler des joies et des peines, du temps qu'il fait mais aussi de la famille. Tous ces visages qui passent, tous ces visages qui sont déjà passés, les raconter sur le papier, les décortiquer, les inventer, les animer, les ranimer. Les sortir de l'ombre. Cette ombre si profonde que je risquais de me noyer dedans. Pêcher à la ligne les détails, les crises, les rires et les pleurs et leur donner une forme précise. Un travail immense pour chaque jour. Un travail épuisant pour chaque jour. Mais les jambes ne fourmillent pas, les oreilles ne bourdonnent pas. Les jambes sont allongées ou bien pliées, les oreilles sont au repos, enfin. Même très au repos. Pour sûr il n'y a presque pas de bruit, personne. La solitude. Immense, totale. Angoissante parfois. Ecrasante même. Comme la vie. La solitude est assez caractéristique de l'être humain; c'est curieux cette lucidité qu'il a de se sentir soudain seul et de penser à tout ce qui l'entoure, tout ce qui dépend de lui, tout ce dont il dépend. L'angoisse le prend et il se sent encore plus seul. La solitude est un gouffre sans fond mais c'est aussi un bien-être. Quand j'étouffe dans l'ascenceur avec tous ces gens autour de moi, quand je suis dans la foule et que je me sens insignifiant, quand je discute avec des gens que je ne supporte pas, alors là je sens que la solitude est appréciable. J'aime les gens que je rencontre au café, ceux que je croise lors de mes promenades quotidiennes. Mais souvent, seul chez moi, la solitude devient insupportable. Alors je trouve des moyens d'y échapper. J'invite des amis, je me sens bien auprès d'eux. Ou parfois mal. Il y a toujours des hauts et des bas dans l'amitié. Des détails qui font mal. J'essaie de supporter. Mais je ne supporte pas toujours. Alors je pleure. Je ris mais je pleure. Je pleure de mes propres manques, je pleure de mes complexes, de mes incapacités, de mes échecs, de mes bêtises, de ma solitude. Où es-tu, être que j'aimerai, je te cherche sans te trouver, je te trouverai sans te chercher, mais tu es toujours invisible à mes yeux et le resteras peut-être encore longtemps. Pour toujours? Espérer c'est long, c'est dur, c'est même parfois impossible. Essayer c'est dur, c'est éprouvant, c'est souvent insupportable. Je pleure encore et encore. Je pleure, je ris, je vis.
Deuxième partie:
Rencontre amoureuse
La rencontre Un matin, à la terrasse du café où Eric prend habituellement son petit déjeuner, Alda est assise. Elle sirote un café. Elle est en train d'écrire des poèmes sur des feuilles volantes. Sur la table, son sac avec plein de trucs dedans. Et dessus. Et un peu partout. Elle sourit. Elle écoute le bruit du vent et semble noter ce qui lui passe par la tête. Eric prend son petit déjeuner habituel. Des croissants, du jus d'orange. Il observe la jeune fille qui écrit, lui demande ce qu'elle est en train d'écrire. Ah, c'est un poème? Vous en avez écrit beaucoup déjà? Oui, de nombreux. Vous pouvez me le lire? Volontiers. Eric le trouve vraiment beau. Il le lui dit. Alors ils commencent à parler de poésie. De ce qu'ils ont lu. Elle lui dit qu'elle est un peu ermite, mais qu'elle se soigne. Il lui dit qu'il a arrêté son boulot, qu'il essaie d'être écrivain. Elle voudrait lire ce qu'il écrit. Il voudrait lire les autres poèmes qu'elle a déjà composés. Ils se donnent rendez-vous le lendemain matin. Ils se lisent mutuellement leurs oeuvres, comme ça, un peu tous les matins. Le matin, c'est un plaisir pour Alda de se lever. Le matin, c'est un plaisir pour Eric de se lever. Ces derniers jours, chacun ressentait une profonde difficulté au réveil, voire même une impossibilité à sortir du lit. Mais alors, c'est un plaisir pour chacun. La vie vaut la peine d'être vécue pour les gens que l'on rencontre. Puis Eric est invité à manger chez sa nouvelle conquête. Il sent que c'est un peu plus qu'une conquête. Parce qu'elle est moins imprévisible, insupportable, indescriptible, insatiable. Elle semble, contrairement aux autres femmes, plus calme, plus légère, plus sensible, plus douce. L'amour rend aveugle, dit-on. Mais pour ces deux-là, quelque chose s'est ouvert. Une lumière. Une personne qui, pour une fois, n'est pas un visage de plus mais un être entier, avec ses forces, ses fragilités, ses désirs, ses délires. Chacun se sent enfin dans la bonne voie. Alda prépare le dîner tandis qu'Eric lui parle de littérature, de tout ce qu'il a lu, de tout ce qui lui plaît. Alda raconte ce qui la fait vibrer, ses espoirs, ses désespoirs, sa poésie, ses voyages. Elle ressent que quelqu'un l'attrape alors qu'elle était en train de tomber. Eric trouve enfin quelqu'un à qui parler de ce qu'il aime. Quelqu'un qui le comprend. La solitude se transforme complètement, il le ressent ce soir-là. Il lui exprime cela. Elle acquiesce. Ils s'embrassent. Ils sont aux anges. Cette soirée est passionnée, torride, chaleureuse, intense. Sur l'immense lit d'Alda, ils font l'amour comme des fous. Comme si c'était la première fois, pour chacun. Toute la nuit. Ils sont heureux. Dans les bras l'un de l'autre, à écouter de la musique. A s'étreindre, à s'aimer, à s'embrasser. Puis à discuter. Puis à s'étreindre de nouveau. Encore. Pour Alda c'est moins de nuits à passer son temps dans son bazar, dans ses poèmes. Pour Eric, c'est moins de nuits à passer son temps dans les livres. Il les dévore toujours. Cependant, certains soirs, il ne dévore plus les livres mais la chair. Et ça fait du bien, c'est même peut-être la plus belle chose dans la vie. Ils se voient le matin à la terrasse du café et de temps en temps le soir pour dîner ou bien autre chose. Les semaines passent ainsi que les mois. Une certaine lassitude commence malheureusement à s'installer. Ce qui se dévoile ici, c'est simplement la différence de caractère qui n'est pas toujours facile à supporter au quotidien. Alda vit toujours dans un immense capharnaüm. De plus en plus, cela inquiète Eric. Et selon Alda, ce qui est inquiétant, c'est la façon méticuleuse qu'Eric a de ranger ses affaires, de faire son emploi du temps. De jour en jour, Alda commence à ressembler à toutes ces nanas exténuantes, qui partent dans tous les sens, dans toutes les directions à la fois. De jour en jour, Eric commence à ressembler aux voisins, aux garçons d'un soir, décevants, fatigants. Mystérieux mais quelconques. Alda a une idée. Ils feraient un voyage tous les deux. En amoureux. Partir voir Amsterdam. Et puis Bruxelles. Un week-end. Ou même une semaine. Tranquillement. Découverte. A deux. C'est encore mieux. C'est pour voir en fait, s'ils sont faits l'un pour l'autre.
Amsterdam
Se promener dans la ville d'Amsterdam, au gré des rencontres. Le long des canaux, passer à côté des péniches, farfouiller dans les librairies anciennes. De vieux livres. Des mouettes qui crient. Les maisons agréables, le long des canaux. Les pubs enflammés dans lesquels tout le monde danse. L'ambiance de foule cosmopolite de ses grandes avenues. Ses restaurants asiatiques. Son quartier chaud où l'on aperçoit les prostituées dans les vitrines. Ses librairies érotiques. Ses cafés et restaurants le long des canaux. Se balader, prendre un verre quelque part. Se promener dans les couloirs du musée Van Gogh, apprécier les tableaux tout en couleurs de ce génie, les tournesols, les épis de blé, les ciels changeants, parfois clairs, parfois sombres. Faire un tour des canaux en bateau, apercevoir les vieilles maisons, visiter celle d'Anne Franck. Toutes ces merveilles sont indispensables, sublimes, magnifiques. Voilà ce qui a attendu Alda et Eric à Amsterdam. Voilà ce qu'ils ont découvert. Et le soir, c'étaient les étreintes extraordinaires d'un homme et d'une femme heureux de vivre. La passion, la chair, la sexualité, pleinement vécue. La fougue intense de deux êtres qui se donnent l'un à l'autre, qui se découvrent encore et encore dans la capitale de la Hollande. Dans le port d'Amsterdam, comme dit la chanson. Au gré de ses rues et de ses canaux, ville sulfureuse, ambiance sulfureuse.
Bruxelles Ensuite ce fut Bruxelles. Et ses bars dans lesquels déguster de la bonne bière belge. Et les chocolats belges. Le Manneken Pis. La galerie de verre ornée de beaux magasins. Les petites rues et les petites ruelles. Se promener à travers les tables et sur la Grande Place. Profiter des façades des vieilles maisons, la Taverne des Brasseurs, les librairies, les grandes avenues. Une escapade à Bruges et c'est l'illumination. On ne l'appelle pas la Venise du Nord pour rien. Son immense place. Ses grandes rues. Ses voitures à cheval. Ses maisons anciennes. Et surtout, surtout, l'enchantement: la promenade en barque le long du canal. Il semble ici que l'on soit toujours au paradis bien qu'encore en ce monde. Une famille de cygnes s'ébroue au bord de l'eau. A l'hôtel, nos deux tourtereaux sont toujours autant enflammés. Mais c'est pour le retour que ça se passe beaucoup moins bien. Retards, pertes de tickets, voire de billets de train. Ils voulaient rester tous les deux au paradis mais la réalité est plus dure. Ils se trompent, se disputent, Alda voit rouge. Eric se contient difficilement. De retour en France, c'est nettement moins rose. Ils se disputent beaucoup plus souvent. Mais ils savent qu'ils s'aiment profondément et c'est plus douloureux encore. Amour et douleur, naissance et mort, lumière et obscurité. Chacun doute énormément.
La séparation
Le petit quotidien reprend quand même mais ils se voient moins souvent. Le temps de faire le point. De savoir où ils en sont. L'amour est un travail quotidien. Le bonheur est un travail quotidien. Parfois ça vacille, ça se casse la gueule, ça se relève. Tout cela est très mystérieux en vérité, personne n'y comprend grand chose. On a beau essayer de comprendre, il y a une si grande part d'irrationnel dans l'Homme, dans la Nature. Alda et Eric ont fait le point, ils ont ensemble une idée, une force qui portera leur amour. Ils vont écrire un livre ensemble. Un grand recueil de poésies. Tous les matins, comme d'habitude, ils se retrouvent pour prendre leur petit déjeuner, mais aussi pour écrire, un peu comme dans un groupe d'écriture. Ils écrivent le poème de leur amour. Ils ne veulent pas le laisser prendre fin si bêtement, au retour d'un voyage. Forcément un voyage, c'est magnifique. C'est exceptionnel. Mais ça n'est pas la vie, qui plus est la vie de tous les jours. Cependant, la vie de tous les jours, malgré ses croix, ses souffrances, ses heurts, est tout aussi magnifique. Pleine de petits bonheurs, de petits poèmes. De petites folies à vivre ou à laisser. Beaucoup à vivre. Autant à laisser. Car il faut choisir. Et les choix sont souvent amers. Cruels. Les folies à vivre peuvent être laissées de côté mais ne serait-ce pas le regret qui attend par la suite? Chacun de leur côté, Eric et Alda décident de ne pas en rester là. Et le travail sur le recueil de poésie avance. Eric le corrige et demande bientôt à le faire publier. Le soir de la publication, c'est l'enchantement dans le petit couple. L'Amour avec un grand A. Un livre sur la table avec leurs noms à tous les deux. C'est le bonheur. Alors ils continuent à écrire. Deux livres, trois livres. Les jours passent. Ils avancent encore et toujours et de nouveau la lassitude les gagne. Les disputes reprennent. Moins violemment qu'à Bruxelles mais assez souvent. Un peu tous les jours, quelque chose ne colle pas. Alda est bordélique, Eric est obsessionnel. Le petit déjeuner n'est plus comme avant un véritable plaisir. Les jours deviennent plus mornes, les soirées moins passionnées. C'est ainsi bien sûr que les couples qui ont un long passé battent de l'aile. On connaît les fameux sept ans de mariage ou bien les sept ans de réflexion. Même si Eric et Alda n'en sont pas là, ils ont déjà partagé quelques mois ensemble. Ce qui doit arriver arrive quand même. Ils se lassent. Ils n'ont plus une conversation aussi intéressante. Tout cela devient un peu chaotique. Un peu décevant. Un peu triste. Un peu irrémédiable. C'est la séparation. Nette et claire. Inévitable. Comme toutes les histoires d'amour, celle-ci a une fin. Pas une fin tragique ni une fin morbide mais une fin triste, pathétique, poussive, lente mais sûre, tardive mais évidente. Un matin, Alda regarde Eric dans les yeux. Elle lui affirme qu'il vaut mieux qu'ils mettent un point final à leur relation. Que s'aimer et souffrir n'est pas toujours compatible. En réalité, elle ne peut plus le supporter. A l'entendre dire cela, Eric donne une impression de tristesse mais en fait il est ravi. Il ne peut plus la voir. Il a tous les jours l'impression de se noyer dans le bazar de son appartement. Elle, elle sent qu'elle étouffe sous toutes ses contraintes. Les rats quittent le navire, le beau bateau de l'amour fait naufrage. C'est la haine qui a pris la place de l'amour, autre versant de la même pièce. Après une discussion assez longue sur leurs qualités respectives, car ils souhaitent tout de même mettre les choses au point, y voir très clair dans tout cela, ne pas faire les choses à la légère, eh bien, c'est le point final. Le dernier petit déjeuner en commun. Alda ne viendra plus les prendre au café favori d'Eric. Eric les prendra seul. Peut-être même ne viendra-t-il plus dans ce café. Seulement de temps en temps, par une matinée de nostalgie. Les croissants sont finis, le café est bu, le jus d'orange consommé. Ils s'embrassent une dernière fois, se souhaitent mutuellement un chemin heureux pour la suite. Ils se lèvent chacun leur tour. Ils s'en vont chacun de leur côté. La vie n'est qu'une suite de rencontres et de séparations. Nous ne sommes que de passage.
Le chemin d'Alda
Après la séparation, Alda est triste pendant assez longtemps. Il lui faut plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour avoir envie de se lever réellement le matin. Puis un jour, elle décide de commencer à ranger son appartement, jeter à peu près la moitié des choses inutiles. Ensuite elle prend une décision. Elle va reprendre ses études. Elle désire travailler dans le tourisme pour pouvoir faire des voyages assez intéressants. Ce qui lui a donné cette idée, c'est d'avoir rencontré des Japonais. Elle discute beaucoup avec un groupe de Japonais très sympathiques. Ils parlent bien le français. Elle leur raconte les voyages qu'elle a déjà faits. Elle leur raconte les villes européennes qu'elle a déjà vues. Pas seulement Amsterdam et Bruxelles. Elle connaît à peu près tous les pays d'Europe. Tout le bazar de son appartement, ce sont bien sûr des documents d'archives sur elle, sur sa famille, sur ses précédentes études mais c'est aussi un souvenir de Madrid, une bouteille de vin italien, des objets ramenés de Londres et toutes sortes d'autres choses venant de l'Europe entière. Ses amis japonais lui conseillent de devenir guide touristique ou au moins d'essayer. Elle a encore beaucoup de rêves dans la tête. Elle se voit partir en Asie, en Afrique, en Amérique et tout ça grâce à ce travail. Elle fait ses études dans le tourisme et à côté, elle travaille les langues avec les japonais, et d'autres étrangers qu'elle rencontre. Elle sait parler français mais aussi espagnol, italien, anglais et bientôt japonais. Le matin, elle continue à écrire des poèmes. Elle s'est trouvé un petit café bien à elle pour prendre son petit déjeuner, à côté de chez elle. Un poème tous les matins. Elle garde dans son coeur le souvenir de mois heureux avec Eric. Et bientôt elle est guide. Elle est payée pour voyager. Elle va en Chine, au Japon, en Amérique du Sud, dans les pays du Maghreb. Pendant ses études, elle a fait la connaissance d'un autre homme. Mais ça n'a pas duré très longtemps. Elle se souvenait trop de toutes les qualités qu'elle trouvait à Eric, avant qu'ils se disputent. Elle n'arrivait pas bien à s'attacher à un autre. Il ne lui plaisait pas tant que cela. Et puis elle est partie faire tous ces voyages dans le monde entier. Avec un petit groupe de Français pour la plupart de ces voyages. Puis parfois avec des espagnols, des italiens. Globalement, elle se rappelle de cette période après la séparation avec Eric comme d'une période où elle est retournée vers les autres. Avant, elle voyait peu de gens, quelques amis de temps en temps, un voisin, une voisine. Un garçon d'un soir. Mais Eric lui a ouvert les yeux sur les autres. Sur son coeur. Sur le monde. Et puis, après avoir rencontré les Japonais, elle s'est fait des amis pendant ses études de tourisme. Elle voyait beaucoup d'étudiants étrangers. Bien sûr, par périodes, elle retrouvait le calme et la solitude de son appartement, de son bazar. Mais on ne voit pas les choses de la même façon lorsque l'on est seul et que l'on connaît peu de gens et lorsque l'on est seul après une période d'échanges et de passions comme celle-là. On se sent moins seul car on relativise. Ensuite, bien sûr, tous ces voyages. Elle part voir la Chine, la Cité interdite, Shanghaï et ses grandes tours, tous les petits temples bouddhistes, la foule des villes chinoises, la pauvreté aussi mais toujours très digne, très propre. Et puis le Japon, Tôkyô, Kyôto, les temples, les grandes métropoles, le Shinkansen, train qui relie un bout du pays à l'autre, les petites îles japonaises dont la fameuse Okinawa. La Tunisie, l'Algérie, l'Egypte, les villes, les marchés, le désert, le plateau de Gizeh, l'activité trépidante des villes du Maghreb, le coeur immense des Maghrébins et toutes les denrées exotiques, des fruits, des légumes, comme on n'en voit pas en Europe. Enfin elle fait quelques pays d'Amérique du Sud avec un groupe d'Espagnols. Elle sait bien parler espagnol et n'a pas trop de difficultés. Elle garde souvent quelques liens avec les gens du groupe après chaque voyage, échange les photos, les souvenirs, les carnets de voyage avec les autres. Et bien sûr, chaque groupe fait des rencontres dans les autres pays. Un groupe n'est pas toujours bien accueilli, surtout des touristes, mais souvent, il y a une ambiance très chaleureuse. Après ces voyages un peu partout, elle a une période plus calme. Elle fait des traductions, de français en anglais, en espagnol, en italien. Elle continue à travailler le japonais et découvre un peu le chinois. Elle voit souvent les Japonais qu'elle connaît depuis plusieurs mois et même quelques années déjà. Mais aussi les amis qu'elle a connus pendant ses études. Donc, tout compte fait, après ses voyages, elle n'est pas trop seule. Par périodes bien sûr, la tranquillité de son appartement l'effraye un peu. Elle continue à inviter un voisin ou une voisine de temps en temps. Elle reprend ses poèmes, son quotidien. Le quotidien n'a rien à voir avec les voyages. Ca n'est pas la même ambiance. C'est moins fatigant bien sûr mais il y est plus difficile de s'émerveiller. Ca dépend des jours bien sûr. Il y a des jours mornes, des jours joyeux, des jours fatigants, des jours angoissants, des jours détestables, des jours lumineux, des jours tristes. Des jours agréables. Chaque jour est une découverte. En voyage, il est moins facile d'avoir ses repères, on doit savoir bien régler tous les problèmes, qu'ils soient matériels, humains, de transport, de sécurité, de trajet. Chaque jour est complètement différent de l'autre. Il y a dix mille découvertes par jour. Mais aussi dix mille petits problèmes. Après tous ces voyages, Alda est contente de passer une période plus calme, plus sereine, de travailler les langues en silence. Pourtant, pas encore d'homme dans sa vie.
Le chemin d'Eric
Après la séparation, Eric a une période de tristesse assez dure. Il retourne voir son médecin car il doute. Il aimait cette femme. Il sent qu'il a tout gâché entre eux. Il aurait préféré ne pas aller à Amsterdam ni à Bruxelles plutôt que de la quitter si bêtement. Comme ça. Il continue d'écrire. Avec acharnement. Tous les jours. Il aligne les romans, les carnets, les expériences par écrit. Il sent qu'il adore écrire. Un jour ou l'autre il rencontrera une autre fille. Pour éviter d'être vraiment trop seul, il part par périodes faire le tour de la France, un peu dans tous les coins, parfois avec les groupes de marche à pied, parfois pour faire du sport, d'autres fois dans des chantiers de restauration d'un monument historique. Il découvre de nombreuses villes françaises dont il tombe amoureux. Toulouse, Nice, Lille, Carcassonne, Le Puy-en-Velay, Annecy; Rouen pour n'en citer que quelques-unes aux quatre coins de l'Hexagone. Il travaille à la restauration d'un château dans une petite ville d'Auvergne. Le groupe est stimulant, chaleureux, enthousiasmant. Les repas sont copieux et arrosés. A une autre période, il travaille sur un château en Bretagne. De même, les gens sont charmants et les repas formidables. De toutes ces expériences, ces rencontres, il garde des souvenirs merveilleux. Mais aussi des contacts un peu partout en France. Toute cette période de découverte alterne avec une autre période d'écriture. Puis il décide de travailler de nouveau, toujours dans le domaine des livres mais dans une bibliothèque, plus dans une librairie. C'est trop exténuant, se dit-il. Il continue à vivre tranquillement entre son travail, l'écriture et de temps en temps des visites, des expériences de groupe. Il fait aussi des voyages, découvre quelques pays et capitales européennes. Il a de nouveau des liaisons mais celles-ci ne sont pas très longues. Il ne retrouve pas Alda et sans doute ne la retrouvera-t-il pas, se dit-il. Maintenant qu'il a vécu l'amour, un amour profond et riche, ces liaisons le déçoivent. Bien sûr il aimerait de nouveau connaître une femme et même vivre avec elle mais pour l'instant, il laisse le temps passer. Il continue d'écrire. Mais il sent qu'Aida l'a beaucoup aidé. Dans ses rapports avec les autres, il est plus confiant. Il va mieux vers les autres. Bien sûr certains jours sont mornes,tristes, insupportables. Pas tous heureusement. Il se sent bien mieux que lorsqu'il travaillait à la librairie pendant toutes ses journées, du matin jusqu'au soir. Le travail en bibliothèque est plus reposant et les horaires moins contraignants. Il a ensuite une période très montagnarde. Tous les week-ends et dès qu'il peut, il fait des courses de montagne, parfois en groupe, parfois seul. Il part aussi avec des amis, soit des collègues, soit des contacts, qu'il a un peu partout en France. Après les montagnes du Massif Central, c'est-à-dire la chaîne des puys, il découvre la Savoie, la Haute-Savoie ainsi que la Suisse. Il rencontre alors des gens d'un peu partout, des Suisses mais aussi des Canadiens, des Français, des Italiens ou des Allemands. Entre une auberge de jeunesse et un refuge de montagne, il marche. Il est heureux. La nature le comble. Quelle sensation que de se sentir environné de montagnes, de lacs, de forêts, de cols, de chemins en tous genres! Après les courses de montagne classiques, il expérimente l'escalade, la via ferrata. Cette dernière technique consiste à suivre un chemin construit auparavant et fait de cordes et de parties métalliques. Cela évite l'escalade dans des passages délicats. De refuge en refuge, il découvre un peu tous les pays à sa façon. Il a de nouveau des liaisons avec des filles appartenant à des groupes mais elles ne sont pas longues et pas non plus très profondes. Les semaines se déroulent ainsi entre son travail en bibliothèque, l'écriture, les amis et la montagne, les chantiers, les randonnées. Il est heureux ou du moins à peu près. De temps en temps très heureux; par moments très seul. Enthousiaste en général; morne ou un peu aigri par périodes.
Enfin il rencontre quelqu'un avec qui ça semble plus sérieux. Elle adore lire comme lui et aime aussi écrire. Il la découvre à travers un journal qu'elle édite, auquel elle travaille avec passion, et qui publie des nouvelles venant d'un peu partout. De la région mais aussi de la France entière. Séduit par l'écriture, il est séduit de même par la femme qui écrit. Ils ont beaucoup d'échanges. Ca n'est pas le grand amour, c'est un amour plus calme, plus sérieux, assez profond. Elle le suit parfois dans ses escapades et dans ses promenades. Cependant, la relation n'est pas fusionnelle. Ils se voient parfois une seule fois par semaine, chacun est indépendant et ça leur convient comme ça. Parfois chez l'un, parfois chez l'autre. Eric retrouve un peu dans cette femme ce qu'il aimait chez Alda. Il se sent serein. Il se sent calme. Tous les deux, ils se baladent le soir un peu partout en ville, découvrent parfois aussi d'autres villes; Il lui fait découvrir celles qu'il aime mais aussi les gens qu'il aime, les livres qu'il aime et les montagnes. La relative indépendance qu'il y a entre eux donne quand même encore à Eric des périodes de solitude.
Brèves retrouvailles
C'est alors qu'un soir, par hasard, car parfois les choses arrivent par hasard à moins que ça ne soit une volonté ferme et mystique qui les dirige, ainsi un soir, Eric et Alda se croisent dans la rue.Ca n'est pourtant pas un endroit que l'un et l'autre affectionnaient lors de leur liaison et qui aurait laissé à l'un comme à l'autre le désir mélancolique d'y retourner de temps en temps, seuls ou accompagnés. Non, c'est une avenue assez passante sans l'être excessivement. Curieusement, chacun est au cours d'une promenade que l'on fait parfois dans la soirée pour ne pas rentrer tout de suite chez soi, pour profiter un peu de l'activité du monde qui nous entoure, à la fin d'une journée un peu solitaire. Tous les deux, ils se croisent mais on pourrait dire aussi qu'ils tombent l'un sur l'autre, dans les bras l'un de l'autre, nez à nez l'un avec l'autre, qu'ils se heurtent l'un à l'autre, bref, ils se retrouvent. Le visage un peu fatigué d'Alda se réveille brusquement. Le regard sans expression d'Eric s'illumine tout à coup. Ils sont contents de se voir, Eric propose à Alda un verre dans un café. Elle accepte volontiers. C'est alors que chacun commence à raconter, sans détails excessifs, sa vie depuis la séparation. En une heure ou deux, ou même un peu plus, tout est dit ou presque. C'est-à-dire rien. C'est alors qu'ils se lancent tous les deux dans un grand débat ou plutôt une discussion, enfin en tout cas un échange sur les rapports entre l'homme et la femme, ce qui les rapproche, ce qui les éloigne, ce qui fait que ça n'est jamais ni tout blanc ni tout noir.
"-Le couple est un idéal, lui dit-elle. Je ne veux pas te briser le moral parce que tu es en couple en ce moment mais cependant, il faut avouer que l'on cherche toujours à faire au mieux, du moins aussi bien que possible, que la communication est un outil merveilleux, mais que la plupart du temps, chacun fait ce qui lui plaît, chacun apporte un peu trop son narcissisme, son égoïsme, ses fantasmes, ses désirs et même ses délires.
-Mais sans les délires de l'un et de l'autre, il n'y aurait pas de couple ni même de désir d'être en couple, lui répond-il. Bien sûr, je comprends ce que tu veux dire. L'homme a ses propres obsessions de manière générale et la femme, ses habitudes parfois insupportables. C'est même un vrai miracle si parfois, de temps en temps, ça marche à peu près bien et de façon pas trop désagréable. Oh, il y a toutes sortes de couples et puis le couple évolue au fil du temps. Le nôtre a été assez classique quand on y repense.
-Enfin tout de même, tous n'écrivent pas des livres de poésie. Et tu sais que j'en écris toujours, je n'ai pas perdu cet amour-là.
-C'est curieux parce que dans le journal que nous éditons, il y a de nombreuses poésies. Et souvent, ces poésies me rappellent celles que j'écrivais avec toi. Bien sûr, ça n'était pas classique. C'était même assez merveilleux. Ca n'avait rien à voir avec les précédentes histoires que j'avais vécues.
C'était beaucoup plus riche mais je ne te l'ai jamais dit parce que tu ne m'aurais peut-être pas cru et puis je ne voulais pas casser le mystère.
-Eh bien pour ma part, c'est la même chose en réalité. Tu es mon premier grand amour. Et peut-être le seul. Tout ce que j'ai fait par la suite, et j'ai fait beaucoup de choses, je te l'ai raconté tout à l'heure, cela ne m'a pas donné d'occasions aussi formidables.
-Mais tu as encore le temps d'y penser, Alda, tu as tout le temps d'y penser.
-Et pourtant, j'arrive de moins en moins à y croire. Je suis tellement dispersée. Un peu originaire de tous les pays maintenant. J'ai aussi toujours mon bazar chez moi, ça revient périodiquement. Comment un homme pourrait-il supporter tout cela?
-Quand on aime, on ne regarde pas les défauts. On commence par ne voir que les qualités. Et tu as toujours toutes tes qualités.
-Oui, tu as raison. Allez, je vais commander un dernier thé et puis je vais rentrer."
Tous les deux sortent du café et c'est alors que, mués par une habitude qu'ils semblent avoir toujours, car ils ont l'impression de se retrouver des armées en arrière, ils se dirigent en marchant et en discutant chez Alda ou bien en tous cas non loin de chez elle. Dans le regard d'Eric, il y a toujours du désir pour elle. Dans le regard d'Alda, encore beaucoup de désir pour lui. La fidélité est un problème très large, très complexe et ils n'ont ni le temps ni le courage d'en débattre de façon complète. Ils se retrouvent bientôt dans le même lit. La passion disparue, enfouie, passée remonte à la surface. Ils se réveillent mutuellement et c'est ainsi qu'ils ont chacun l'impression tactile et très nette de se trouver dans le passé tout en étant de façon extrêmement précise et lumineuse dans le présent. C'est une expérience brûlante, extrême, sensible, fraîche, touchante, unique, fougueuse. Les corps se retrouvent, s'aimantent, se vivent, se choquent, se caressent, se bousculent. Plus rien autour n'existe que ce passé ou plutôt ce présent. Il n'y aura pas d'autre nuit comme celle-ci. Eric se relève et s'habille au petit matin.
"Je te souhaite plein d'amour, Alda."
"A toi aussi, Eric, je te souhaite plein d'amour."
Un peu souriant, un peu triste, Eric rentre chez lui dans le présent.
salut Polo,
RépondreSupprimermerci de ces lignes que je lirai avec plaisir
amitiés
jean