Chroniques de l'Arcouest
Essai sur l'histoire d'une famille de scientifiques au cours du XXème siècle
Paul-Eric Langevin
« La
véritable science apprend avant tout à douter. »
Miguel
de Unamuno
Paul Langevin est né à Montmartre en 1872 dans la
maison appelée le « Bateau-lavoir », qui deviendra célèbre au XXème siècle en
hébergeant Picasso et un certain nombre d’autres peintres connus. Sa mère,
Marie-Adélaïde Pinel, est la petite-nièce du grand psychiatre Philippe Pinel
qui travaillait à la Salpêtrière après la Révolution. Philippe Pinel est
célèbre pour avoir libéré les chaînes des malades mentaux à cette époque. Il a
une œuvre assez importante et est l’un des fondateurs de la psychiatrie moderne
avec Jean-Etienne Esquirol. Marie-Adélaïde Pinel avait un frère qui est parti s’installer en
Chine à la fin du XIXème siècle et y a fondé une famille. Paul Langevin avait
deux frères, l’un des deux, serrurier, est mort jeune, l’autre était
courtier en vins. Quand Paul Langevin arrive à l’Ecole municipale de physique et chimie industrielles de
la Ville de Paris pour y commencer ses études, il est l’élève de Pierre Curie
et le directeur de l’école est le chimiste Paul Schützenberger. L’école a été
créée en 1882.
En sortant de l’Ecole de physique et chimie, Paul
Langevin est reçu à l’Ecole normale supérieure dans la section des sciences. Il
a quelques difficultés avec les langues anciennes, le latin et le grec. Il se
marie avec Jeanne Desfosses et quatre enfants naîtront de cette union :
Jean, André, Madeleine et Hélène. En sortant de l’Ecole normale, il devient
professeur à l’Ecole de physique et chimie et va faire des recherches sur la
physique de l’électron en Angleterre, dans le laboratoire Cavendish dirigé par
Joseph John Thompson. Il y rencontre notamment Ernest Rutherford. Par la
suite, il revient en France et est nommé directeur des études puis directeur de
l’Ecole de physique et chimie, poste qu’il occupera jusqu'à sa mort. Il a vraisemblablement à cette époque une liaison avec Marie Curie, qui fait scandale dans les journaux
en 1911. Celle-ci, veuve de Pierre Curie depuis la mort accidentelle de ce
dernier en 1906, avait obtenu un poste de professeur à la Sorbonne.
Le scandale
la contraint à repartir pendant un temps en Pologne. Paul Langevin donne des
cours à l’Ecole normale de jeunes filles de Sèvres pendant une certaine
période. Il a comme élèves entre autres Eliane Montel (ma grand-mère) et Luce
Dubus (future femme d’André Langevin). Le groupe de l’Arcouest, qui s’était formé à la fin du XIXème siècle autour de
l’historien Charles Seignobos et du physiologiste Louis Lapicque, devient soudé : les familles Langevin, Perrin, Curie, Joliot, Borel, Lapicque
continueront de passer leurs vacances d’été sur la côte de granit rose dans les
Côtes du Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor, à l’Arcouest, en face de l’île de
Bréhat, non loin du port de Paimpol. Langevin et Perrin sont très liés. Jean
Perrin, célèbre pour son livre « Les Atomes », obtiendra le Prix Nobel de physique en 1926. Il a un fils, Francis Perrin, qui deviendra le Haut-commissaire à l’énergie atomique du Général de Gaulle, et une fille, Aline
Perrin, qui se marie avec Charles Lapicque, ingénieur et peintre, neveu et fils adoptif de
Louis Lapicque.
Leur fils aîné, Georges Lapicque, habite à l’Arcouest. Jean
et André Langevin sont tous deux physiciens, l’un devient professeur au lycée Henri IV, l’autre travaille à l’Ecole de physique et chimie et rédige une
biographie de son père. La famille Langevin est liée aussi à Emile Borel,
mathématicien, et sa femme Marguerite Borel, qui écrit des livres sous le nom de
plume de Camille Marbo, et est présidente de la Société des Gens de Lettres. Hélène, la seconde fille de Paul, se marie avec Jacques Solomon, qui était étudiant en médecine et fait par la
suite une thèse en physique théorique, en suivant les conseils de son beau-père.
Madeleine, la première fille de Paul, était admissible à l’Ecole normale mais son père n’a pas voulu
qu’elle poursuive ses études. Jacques Solomon se lie d’amitié avec le
philosophe hongrois Georges Politzer. Paul Langevin a une liaison à cette époque avec son ancienne élève, Eliane Montel, qui passe l’agrégation et devient
assistante à l’Ecole de physique et chimie.
Mon père, Paul-Gilbert Langevin, naît en
1933. Il se lie d’amitié dans les petites classes avec Luce Eekman, la fille du peintre néerlandais Nicolas Eekman. En 1934 est créé le Comité de
Vigilance des Intellectuels Antifascistes, par Paul Rivet, Alain et Paul
Langevin. En feront aussi partie en particulier
Victor Basch, André Breton, Georges Canguilhem, Jean Guéhenno, Frédéric Joliot,
André Malraux, Paul Nizan, Jacques Soustelle. En 1936, c’est le Front
Populaire. Lors des accords de Munich en 1938, le Comité de Vigilance des
Intellectuels Antifascistes se divise, et l’Union des Intellectuels Français
pour la Justice, la Liberté et la Paix est créée par les antifascistes, opposés aux pacifistes intégraux, qui ne rejettent pas les accords de Munich. Celle-ci regroupe alors encore Victor Basch,
Lucien Febvre, Paul Langevin, Jacques Solomon, Jacques Soustelle. Paul Langevin
est aussi lié d’amitié à Romain Rolland et à Paul Valéry. Puis c’est la guerre. Le 30 octobre 1940, Paul Langevin est arrêté à la prison de la Santé. A l’annonce de l’arrestation, les
étudiants parisiens manifestent. Jacques Solomon et Georges Politzer créent un
journal, l’Université Libre, et entrent dans la Résistance. Paul Langevin est
placé en résidence surveillée à Troyes par les Allemands. Mon père, dont la
mère est juive, est caché dans le Massif Central, chez un instituteur, Monsieur Picardet. Le philosophe Georges Politzer fonde le groupe
Politzer, qui participe à des faits de résistance.