dimanche 2 février 2014

"Chroniques de l'Arcouest", par Paul-Eric Langevin (2014)

Chroniques de l'Arcouest

Essai sur l'histoire d'une famille de scientifiques au cours du XXème siècle

Paul-Eric Langevin



« La véritable science apprend avant tout à douter. » 

Miguel de Unamuno



    Paul Langevin est né à Montmartre en 1872 dans la maison appelée le « Bateau-lavoir », qui deviendra célèbre au XXème siècle en hébergeant Picasso et un certain nombre d’autres peintres connus. Sa mère, Marie-Adélaïde Pinel, est la petite-nièce du grand psychiatre Philippe Pinel qui travaillait à la Salpêtrière après la Révolution. Philippe Pinel est célèbre pour avoir libéré les chaînes des malades mentaux à cette époque. Il a une œuvre assez importante et est l’un des fondateurs de la psychiatrie moderne avec Jean-Etienne Esquirol. Marie-Adélaïde Pinel avait un frère qui est parti s’installer en Chine à la fin du XIXème siècle et y a fondé une famille. Paul Langevin avait deux frères, l’un des deux, serrurier, est mort jeune, l’autre était courtier en vins. Quand Paul Langevin arrive à l’Ecole municipale de physique et chimie industrielles de la Ville de Paris pour y commencer ses études, il est l’élève de Pierre Curie et le directeur de l’école est le chimiste Paul Schützenberger. L’école a été créée en 1882.

    En sortant de l’Ecole de physique et chimie, Paul Langevin est reçu à l’Ecole normale supérieure dans la section des sciences. Il a quelques difficultés avec les langues anciennes, le latin et le grec. Il se marie avec Jeanne Desfosses et quatre enfants naîtront de cette union : Jean, André, Madeleine et Hélène. En sortant de l’Ecole normale, il devient professeur à l’Ecole de physique et chimie et va faire des recherches sur la physique de l’électron en Angleterre, dans le laboratoire Cavendish dirigé par Joseph John Thompson. Il y rencontre notamment Ernest Rutherford. Par la suite, il revient en France et est nommé directeur des études puis directeur de l’Ecole de physique et chimie, poste qu’il occupera jusqu'à sa mort. Il a vraisemblablement à cette époque une liaison avec Marie Curie, qui fait scandale dans les journaux en 1911. Celle-ci, veuve de Pierre Curie depuis la mort accidentelle de ce dernier en 1906, avait obtenu un poste de professeur à la Sorbonne. 

    Le scandale la contraint à repartir pendant un temps en Pologne. Paul Langevin donne des cours à l’Ecole normale de jeunes filles de Sèvres pendant une certaine période. Il a comme élèves entre autres Eliane Montel (ma grand-mère) et Luce Dubus (future femme d’André Langevin). Le groupe de l’Arcouest, qui s’était formé à la fin du XIXème siècle autour de l’historien Charles Seignobos et du physiologiste Louis Lapicque, devient soudé : les familles Langevin, Perrin, Curie, Joliot, Borel, Lapicque continueront de passer leurs vacances d’été sur la côte de granit rose dans les Côtes du Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor, à l’Arcouest, en face de l’île de Bréhat, non loin du port de Paimpol. Langevin et Perrin sont très liés. Jean Perrin, célèbre pour son livre « Les Atomes », obtiendra le Prix Nobel de physique en 1926. Il a un fils, Francis Perrin, qui deviendra le Haut-commissaire à l’énergie atomique du Général de Gaulle, et une fille, Aline Perrin, qui se marie avec Charles Lapicque, ingénieur et peintre, neveu et fils adoptif de Louis Lapicque. 

    Leur fils aîné, Georges Lapicque, habite à l’Arcouest. Jean et André Langevin sont tous deux physiciens, l’un devient professeur au lycée Henri IV, l’autre travaille à l’Ecole de physique et chimie et rédige une biographie de son père. La famille Langevin est liée aussi à Emile Borel, mathématicien, et sa femme Marguerite Borel, qui écrit des livres sous le nom de plume de Camille Marbo, et est présidente de la Société des Gens de Lettres. Hélène, la seconde fille de Paul, se marie avec Jacques Solomon, qui était étudiant en médecine et fait par la suite une thèse en physique théorique, en suivant les conseils de son beau-père. Madeleine, la première fille de Paul, était admissible à l’Ecole normale mais son père n’a pas voulu qu’elle poursuive ses études. Jacques Solomon se lie d’amitié avec le philosophe hongrois Georges Politzer. Paul Langevin a une liaison à cette époque avec son ancienne élève, Eliane Montel, qui passe l’agrégation et devient assistante à l’Ecole de physique et chimie. 

    Mon père, Paul-Gilbert Langevin, naît en 1933. Il se lie d’amitié dans les petites classes avec Luce Eekman, la fille du peintre néerlandais Nicolas Eekman. En 1934 est créé le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes, par Paul Rivet, Alain et Paul Langevin. En feront aussi partie en particulier Victor Basch, André Breton, Georges Canguilhem, Jean Guéhenno, Frédéric Joliot, André Malraux, Paul Nizan, Jacques Soustelle. En 1936, c’est le Front Populaire. Lors des accords de Munich en 1938, le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes se divise, et l’Union des Intellectuels Français pour la Justice, la Liberté et la Paix est créée par les antifascistes, opposés aux pacifistes intégraux, qui ne rejettent pas les accords de Munich. Celle-ci regroupe alors encore Victor Basch, Lucien Febvre, Paul Langevin, Jacques Solomon, Jacques Soustelle. Paul Langevin est aussi lié d’amitié à Romain Rolland et à Paul Valéry. Puis c’est la guerre. Le 30 octobre 1940, Paul Langevin est arrêté à la prison de la Santé. A l’annonce de l’arrestation, les étudiants parisiens manifestent. Jacques Solomon et Georges Politzer créent un journal, l’Université Libre, et entrent dans la Résistance. Paul Langevin est placé en résidence surveillée à Troyes par les Allemands. Mon père, dont la mère est juive, est caché dans le Massif Central, chez un instituteur, Monsieur Picardet. Le philosophe Georges Politzer fonde le groupe Politzer, qui participe à des faits de résistance.