Psychanalyse et communisme :
Georges Politzer et Louis Althusser
Le Huffington Post
LITTÉRATURE
Au XXe siècle, l'idée de "révolution" était au cœur du projet des
consciences progressistes. Mais, entachée de soupçon depuis le naufrage du
régime soviétique et l'échec de la révolution culturelle chinoise, la notion a
perdu tout caractère opératoire en politique comme en philosophie. Et pourtant,
des penseurs profonds avaient inscrit ce concept au centre de leur réflexion.
Comment préserver de l'oubli leurs travaux, autrefois incontournables?
L'actualité
nous invite à évoquer d'abord le parcours de Georges Politzer (1913-1942),
Hongrois, fils de médecin, arrivé en France en 1921. Michel Politzer, son fils,
a récemment publié une biographie de ce héros de la Résistance. Son action
contre le fascisme a été louée dès 1943 par le général De Gaulle, comme un
exemple de "dignité de l'esprit".
Intitulé Les
trois morts de Georges Politzer, l'intéressant ouvrage met l'accent sur la
précocité des convictions révolutionnaires du philosophe et dévoile l'intimité
d'un militant exceptionnel. La tâche n'était pas simple car Michel Politzer n'a
conservé en mémoire aucun de ces souvenirs d'enfance qui auraient fait de lui
un témoin privilégié. Une amnésie partielle a , en effet, frappé le biographe
le jour de mai 1942 où il a appris que son père avait été fusillé par les
Allemands au mont Valérien.
Dans
l'esprit lucide de Michel Politzer, ce décès tragique constituait la troisième
mort de son père. Elle avait été précédée par deux ruptures symboliques
profondes : les adieux du rebelle à son pays natal après l'échec de la
révolution de Béla Kun puis son abandon de la philosophie au profit du
militantisme dans les années 1930.
Or, Politzer
a été un philosophe particulièrement prometteur. Publié en 1928, son ouvrage
majeur, Critique des fondements de la psychologie, était très en avance sur son
temps. Pour remplacer la psychologie, science abstraite et spéculative aux yeux
du jeune philosophe, il préconisait une science du drame c'est-à-dire de l'action
et des conditions concrètes d'existence des individus.
Cette
science originale, Politzer regrettait que Freud, encore trop influencé par une
psychologie obscurantiste, ait échoué à la fonder. Notons que le déclenchement
de la guerre n'a pas permis à Politzer de préciser son projet de psychologie
concrète. Néanmoins, c'est souvent à travers les thèses incomplètes de Politzer
que les philosophes français ont découvert la psychanalyse, notamment Louis
Althusser.
De la même
génération que Georges Politzer, Althusser (1918-1990) était également doté
d'une intelligence fulgurante en dépit de son tempérament mélancolique. Caïman
pendant trente ans à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, Althusser
admirait Politzer qui lui avait inspiré une méfiance définitive à l'égard de la
psychologie.
Georges
Politzer et Althusser partageaient un goût identique pour les thèses radicales
et les coupures épistémologiques. Philosopher consistait pour eux à penser la
théorie des sciences et à produire des effets dans le champ politique. Ce n'est
d'ailleurs certainement pas un hasard si, à partir de 1948, parallèlement à son
adhésion à la Cellule communiste des personnels de la rue d'Ulm, Althusser
s'est fait l'inspirateur du Cercle Politzer, groupe de réflexions plus libre, associant
professeurs et élèves. Le nom de Politzer était annonciateur de polémiques...
Une des
objections de Politzer à la psychanalyse, qu'Althusser aurait pu faire sienne,
était d'ordre pratique : en quoi la psychanalyse peut-elle aider les
peuples dans leur lutte contre l'asservissement et en particulier contre le
nazisme ? À question pratique, réponse en acte.
Politzer a
été du petit nombre des premiers intellectuels Résistants. Dès février 1941, il
a publié un long texte antifasciste en réponse à la conférence de l'idéologue
nazi, Alfred Rosenberg, intitulée « Sang et Or, Règlement de comptes avec
les idées de 1789 ». Dans « L'obscurantisme au XXe siècle »,
Politzer célèbre l'esprit des Lumières attaqué par l'ennemi jusqu'au sein de la
Chambre des députés. Familier de Voltaire et de Diderot, Politzer a su
retrouver les accents des philosophes du XVIIIe siècle pour démystifier le
discours trompeur de Rosenberg. Son exceptionnelle réactivité dans le domaine
politique se nourrissait de sa culture philosophique.
Grâce à
Michel Politzer, le lecteur pénètre dans l'intimité d'un intellectuel exigeant
et précurseur. En famille, Georges Politzer était également un homme passionné.
Il avait rencontré sa deuxième épouse Marie, dite Maï, dans un train.
Communiste comme lui, elle fut une combattante de la première heure. Elle a
trouvé la mort à Auschwitz en mars 1943. Jamais Michel, leur fils, n'avait
supposé de mésentente ou de lassitude entre eux.
Or, durant
son enquête, Michel Politzer a découvert des aspects de l'existence de ses
parents qui l'ont bouleversé. Après de multiples recoupements, le biographe a
acquis la certitude qu'avant leur arrestation, son père Georges, sa mère Maï et
le Résistant Jacques Decour avaient vécu l'expérience d'un trio amoureux à la
Jules et Jim. Ce détail n'est nullement anecdotique. L'allégeance de Politzer
envers le parti et sa morale austère avait ses limites !
Dans sa
biographie, Michel Politzer, affirme vigoureusement la subjectivité de son
enquête. Son portrait nuancé d'un philosophe communiste, mort pour ses idées,
est très inspirant. Le biographe, qui n'était ni philosophe, ni historien de
profession, a su magistralement contextualiser les engagements de son père et
redonner envie de lire ses textes.
Les écrits
sur la psychanalyse d'Althusser, publiés en 1993 par Olivier Corpet et François
Matheron, n'ont rien perdu de leur pertinence. Et l'un des effets de ses
interventions a été de rectifier la conception négative de la psychanalyse que
Politzer, sans doute influencé par l'idéologie du parti, avait développée.
Comme Althusser se distingue par la rigueur de ses démonstrations et la clarté
de son style, la lecture de ses articles est toujours conseillée.
Jeannine Hayat, critique littéraire (Le Huffington Post)
A lire:
Michel Politzer, Les trois morts de Georges
Politzer, Flammarion, 2013.
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