Paul-Eric
Langevin
Psycholinguistique
Le
langage et son utilisation par l’enfant
Lors du cours de psycholinguistique, nous avons étudié
l’interprétation du développement de l’enfant en termes de stades chez Jean
Piaget ainsi que chez Henri Wallon. D’autre part, nous avons travaillé sur les
différentes structures mises en place lors du développement. Nous avons vu
notamment les structures suivantes : mise en place de la réalité, mise en
place du symbole, construction de l’espace psychique, construction de l’espace
cognitif, construction de l’espace du raisonnement, construction de la
représentation, construction de la réalité symbolique, lien entre réalité et
représentation, stabilité du monde et de la réalité grâce à l’objet permanent,
permanence induite sur le terrain du langage, structuration du langage en
rapport avec la construction cognitive et apparition des formes linguistiques
simples puis complexes.
On peut distinguer successivement
l’apparition des babillages puis celle des mots simples, des syntagmes, des
phrases simples et des phrases complexes. Dans cette évolution, le rôle de
l’entourage, celui des parents puis des grands-parents, celui des frères et
sœurs puis des autres enfants est essentiel. Les relations interpersonnelles
apparaissent au fur et à mesure de la découverte du langage. Le jeu puis le jeu
symbolique, qui précèdent le langage, jouent aussi un rôle important. L’enfant
construit des situations mises en scène par le langage par l’intermédiaire du
jeu. On peut rappeler la distinction que fait Piaget entre langage égocentrique
et langage socialisé. L’enfant utilise le langage dans le jeu lorsqu’il joue
seul puis lorsqu’il joue avec les autres enfants. Quelques temps après
l’apparition des premiers mots et lorsque la mémoire commence à se développer
se produit ce qu’on appelle une explosion lexicale. Un grand nombre de mots
commence à être utilisé. Le rôle du langage de la mère est important à ce
moment-là. Celle-ci utilise l’attention conjointe, ce qui signifie que
l’attention de l’enfant et celle de l’adulte se mettent en relation. Les
parents utilisent des signes mais aussi des injonctions et des ordres. Pour la
mise en place de la grammaire de la langue maternelle, on peut renvoyer aux
travaux de Noam Chomsky sur l’acquisition du langage. Le langage évolue ainsi à
partir de l’âge de 2 ans jusqu’à l’élaboration d’un langage complexe à l’âge
adulte. Il est important de considérer pour cela les échanges langagiers dans
la famille puis à l’école maternelle et à l’école primaire, ainsi que le rôle
des instituteurs. La pensée musicale ainsi que la pensée mathématique précèdent
le langage chez l’enfant. Cette dernière évolue avec la conception de l’espace,
celle du temps, des objets, de la réalité matérielle et la mise en place de ce
que Piaget appelle les pseudo-concepts et les préconcepts.
L’élaboration pré-linguistique des
structures de la personnalité se fait par phases successives et continues, au
cours desquelles on peut repérer des changements essentiels qui apparaissent
petit à petit, comme on l’a décrit dans l’introduction. La capacité
linguistique se met en place au fur et à mesure après le passage par tous ces
grands stades. On peut mettre en parallèle le langage du primitif étudié par
les ethnologues avec le langage de l’enfant, notamment en ce qui concerne la
pensée magique et la difficulté à concevoir la notion de hasard et la
contingence. On peut aussi comparer le langage égocentrique mis en évidence par
Piaget avec la pensée magique de l’enfant, qui centre sa conception du monde
sur lui-même. Effectivement, dans son entourage familial, l’enfant commence par
être le centre de son petit monde. Au fur et à mesure de son développement, il
relativise sa place au sein de la famille puis au sein de la société, ainsi que
la place de ses parents et celle des autres adultes auxquels il s’est attaché.
Sur le plan du langage, il en est de
même car la réflexion intellectuelle se structure en parallèle avec les
capacités langagières. L’enfant commence par parler de lui à la troisième
personne puis il utilise «moi», «moi, je» et enfin «je». Petit à petit se
mettent en place les rapports interindividuels par la médiation du langage.
L’échange langagier commence par des mots et des phrases simples, concernant
d’abord la réalité concrète. Le discours peut passer ensuite entre l’enfant et
l’adulte du plan de la réalité concrète au plan abstrait. La réalité concrète
signifie aussi la réalité immédiate. La conception du passé et de l’avenir se
construisent alors, en particulier en acquérant la notion de filiation. L’objet
permanent permet d’évoquer par le langage des idées qui ne font plus référence
à la réalité immédiate. L’enfant trouve alors sa place dans sa famille et dans
son histoire grâce au langage et aux échanges langagiers. En ce qui concerne
les jeux, ils sont mis en scène par l’intermédiaire du langage égocentrique
quand l’enfant joue seul et par l’intermédiaire du langage socialisé quand il
joue avec les autres enfants et avec les adultes.
Les relations de l’enfant avec les parents,
les adultes mais aussi les autres enfants construisent sa propre personnalité.
Il intègre les phrases entendues dans son entourage, ce qui construit sa
mémoire langagière, qui se développe vraisemblablement à partir de la période
intra-utérine. De même pour la mémoire des sons et de la musique. En ce qui
concerne les langues étrangères, cela dépend principalement de l’entourage.
Dans la petite enfance, il y a sélection catégorielle des phonèmes de la langue
maternelle. Elle se fait au détriment des phonèmes utilisés dans les autres
langues. Une langue étrangère doit être introduite le plus vite possible pour
obtenir de meilleurs résultats par la suite. Actuellement, certaines sont
découvertes dès l’école primaire, ce qui correspond à la période des opérations
concrètes pour Piaget. A partir du début de la scolarisation, l’enfant
construit son expérience en échangeant avec les autres enfants mais aussi en
découvrant les activités d’éveil proposées. Le rôle des instituteurs comme
substituts des parents et de la famille est très important. Ce sont les
personnes qui introduisent les règles, qui donnent les permissions et les
interdictions par le jeu du langage. La famille puis l’école ont un rôle
primordial dans l’accès au langage et l’épanouissement par la parole.
Certains adultes ont beaucoup d’échanges langagiers avec
l’enfant, d’autres moins. Selon les cas peuvent se mettre en place des
relations plus ou moins fusionnelles. S’il y a peu d’échanges langagiers, les
relations sont plus fusionnelles ; s’il y a beaucoup d’échanges
langagiers, cela permet au sens de se mettre en place. Les discussions sur les
expériences vécues permettent de prendre du recul par rapport à la réalité
extérieure. De même pour la découverte de la mort par l’enfant : elle se
déroule à l’âge de 5 ou 6 ans. Avant, il n’y a pas de conception de la mort
dans la plupart des cas. Cette notion doit aussi être mise en mots.
Il y a aussi une importance des signes
non linguistiques et de la communication non verbale entre l’enfant et son
entourage, ainsi que du rôle des frères et sœurs et de l’échange avec eux. Les
émotions s’expriment d’abord par des pleurs puis par des babillages, des rires
et par la suite par des mots et des phrases. Les babillages commencent très tôt
et représentent un langage à eux seuls. Il serait intéressant de travailler
dessus et de les analyser. L’enfant commence à tenter de reproduire des
phonèmes ou du moins s’habitue à son système phonatoire qu’il ne sait pas
encore bien utiliser. Ensuite viennent les premiers mots, utilisés dans le
contexte familial et souvent en rapport direct avec les parents. Par la suite,
à la crèche puis à la maternelle, les échanges entre enfants sont riches et
développent le langage. Il apprend beaucoup de mots et commence à poser
beaucoup de questions. Puis vient la période pendant laquelle l’enfant se pose
la question des origines. D’où vient-il ? Il s’intéresse alors à sa
famille mais aussi à la mythologie et aux dinosaures. Toutes ces questions et
ces découvertes façonnent son imagination. C’est à l’école que son langage va
s’épanouir car il découvre un grand nombre d’activités et de personnes.
L’activité de dessin est très importante et sur certains dessins, l’enfant
commence à écrire ses premières lettres puis des mots. C’est la découverte de
l’écriture, qui se passe en début d’école primaire ou même parfois en fin
d’école maternelle. Les lettres et les chiffres sont étudiés petit à petit.
L’enfant s’exprime alors dans sa famille sur les découvertes qu’il a faites à
l’école.
Ensuite on étudie l’orthographe,
la grammaire, l’arithmétique. Toutes ces notions se mettent en place selon des
méthodes développées par des éducateurs. Parmi les auteurs spécialistes de
l’éducation nouvelle, on peut citer Freinet, Decroly, Montessori… Le rôle des
relations entre enfants dans ces apprentissages est très important puisqu’ils
peuvent discuter entre eux de ces découvertes et même s’aider mutuellement. Le
rôle de l’instituteur est alors de commencer à transmettre des connaissances.
Autant à l’école maternelle, il est encore difficile de capter l’attention des
tous petits et de les faire obéir à des règles, autant en début d’école
primaire, ça devient possible. C’est le début de l’âge de raison.
A l’école maternelle, il est important
de laisser évoluer l’enfant parmi son nouvel entourage. Lorsqu’il a des
activités épanouissantes, il parle beaucoup, qu’il soit seul ou entouré des
autres enfants. C’est en le laissant agir à sa guise au milieu de ses nouveaux
jeux et de ses camarades qu’on permet son épanouissement, tant au niveau de la
personnalité qu’au niveau du langage. Cela permet aussi de développer
l’imagination, qui est une capacité absolument essentielle. Pour cela, chaque
enfant doit avoir un espace suffisant et personnel. Les enfants ne doivent pas
être trop nombreux en classe sinon les échanges avec les instituteurs ne sont
plus tellement possibles et il devient plus difficile de les gérer.
Actuellement, il y a souvent dans une classe un petit ordinateur et ainsi les
enfants découvrent dès leur plus jeune âge les nouvelles technologies à travers
des jeux qui peuvent éveiller la personnalité et le langage. C’est aussi à
cette période qu’on découvre l’importance des fêtes, des anniversaires et qu’on
s’habitue à l’écoulement du temps. Dans la famille, on s’habitue aux règles de
la socialisation : repas à des horaires fixes, sommeil...
L’enfant commence par acquérir les
phonèmes dans la petite enfance. Il entend les phrases prononcées autour de lui
et commence à découper les mots en phonèmes. Ensuite il apprend à utiliser son
appareil phonatoire. Les premiers mots produits ne sont pas encore bien
produits. Les phonèmes et les morphèmes sont modifiés car l’enfant apprend
petit à petit la prononciation. Les adultes autour de lui le corrigent. Il y a
aussi des raisons mécaniques à cela : il n’est pas encore habitué à
utiliser ses organes vocaux. En même temps vient le sens des mots et des
phrases. Il pose beaucoup de questions et met du sens sur ce qu’il entend, ce
qu’il expérimente, ce qu’il vit. La sémantique est liée notamment aux relations
affectives qu’il a avec son entourage. Cela commence par les échanges autour de
la nourriture. Les mots prennent un sens dans un contexte affectif précis. Cela
joue aussi sur la mémoire qui se forme et crée des souvenirs prégnants liés à
tel ou tel contexte affectif.
Selon que les relations avec les
parents sont plus ou moins fusionnelles, l’enfant parlera plus ou moins tôt. En
général, il commence à parler vers 2 ans ou 2 ans et demi. Selon les enfants,
le langage qui commence à être produit l’est plus ou moins bien. Le vocabulaire
et le lexique se développent au fur et à mesure des découvertes. C’est le début
de l’utilisation du langage spécialisé qui sera acquis petit à petit pendant la
scolarité dans les différents domaines étudiés : la grammaire, l’histoire,
les sciences, les mathématiques… Chaque discipline a un lexique bien
particulier et le développement de ce lexique commence dès l’école primaire.
Chaque discipline a aussi une méthode de pensée bien particulière et cela
permet à l’enfant de comprendre que l’on peut penser et même parler de façon
très différente selon les sujets abordés. La façon de réfléchir n’est pas la
même si on fait de la grammaire, de l’arithmétique, de l’histoire…
C’est aussi la période pendant laquelle
l’individu a le plus de facilités et le plus de plasticité pour apprendre et
pour découvrir de nombreux domaines différents ainsi que pour travailler et
exercer la mémoire. C’est vrai pour les langues mais aussi pour les
mathématiques, la musique… Plus on commence tôt en général et plus on peut
arriver à maîtriser ces disciplines. Par exemple, il est bon de faire découvrir
un instrument de musique à un enfant. C’est parfois la flûte mais ça peut être
aussi le piano ou d’autres instruments. De même pour une langue étrangère. Si
la famille utilise des langues différentes, c’est une richesse pour l’enfant.
Cependant, tout ne doit pas être fait dans n’importe quel ordre ou sans règles,
sous peine que celui-ci n’arrive plus à s’y retrouver. C’est vrai aussi pour
l’arithmétique et les mathématiques, il faut que les progrès se fassent
progressivement et pas trop brusquement. Il est aussi important que l’enfant ne
soit pas submergé par les activités intellectuelles mais puisse aussi garder du
temps pour les activités artistiques ou sportives, pour du repos et que son
sommeil soit de bonne qualité.
Les différentes disciplines qui ont un
rapport direct avec le langage sont donc d’abord l’orthographe, la grammaire,
la syntaxe, les langues mais aussi l’arithmétique, les mathématiques, la
géométrie et les sciences ainsi que les activités artistiques comme la musique,
le dessin, la peinture ou la poésie. On a aussi évoqué précédemment
l’importance de la communication non verbale chez l’enfant. Celui-ci intègre
consciemment ou non les signes utilisés dans sa famille, dans son entourage, à
l’école. Ces signes peuvent être des signes des mains, le langage du corps mais
aussi des comportements, des habitudes vestimentaires, tout ce qui fera par la
suite le style de la personnalité de l’enfant. Tout ce langage sémiotique
l’intègre dans sa famille puis à l’école et par la suite dans la société.
L’utilisation de la langue maternelle est acquise grâce à la
mère mais le discours de l’enfant va se structurer grâce en particulier au
discours du père. L’imitation étudiée par Piaget et Wallon ainsi que par
d’autres psychologues, joue ici un rôle essentiel. L’enfant progresse par
projections et par identifications selon les psychologues. L’important est
alors que celui-ci puis l’adolescent et plus tard l’adulte construise son
discours d’abord par imitation du discours du père mais ensuite en utilisant sa
propre imagination et en développant sa propre personnalité fondée sur des
modèles et qui doit devenir ensuite pleinement originale. Si le langage ne fait
qu’imiter les modèles, on n’obtient qu’une pâle copie du discours du modèle et
non un individu à part entière. C’est donc par un constant va-et-vient entre la
pensée des modèles et la pensée personnelle que se forgent une personnalité et
un discours uniques.
Parfois, l’acquisition du langage se
passe mal, notamment dans les cas de dysfonctionnements. Les pathologies comme
la dysphasie, la dyslexie, la dyscalculie, sont traitées la plupart du temps
par les orthophonistes, parfois avec l’aide des psychologues. Les difficultés
sont plus grandes dans les cas d’autisme infantile, sujet qui est discuté tout
particulièrement à l’heure actuelle. Parfois, dans ce genre de cas, l’enfant ne
peut pas développer la capacité de langage ou de façon très limitée. D’autres
cas qui ne relèvent pas vraiment du même genre de difficultés sont les cas de
limitations des capacités mentales comme dans l’arriération, sujet traité
particulièrement par Maud Mannoni dans «L’enfant arriéré et sa mère». Dans ces
conditions, l’acquisition du langage, du calcul, des connaissances pose
problème assez rapidement. On peut aussi citer le cas des aphasies, non parce
qu’elles concernent l’enfant en particulier mais parce que la disparition des
capacités langagières s’effectue de la même façon mais en sens inverse de
l’acquisition du langage par l’enfant.
Ce problème est traité par Jakobson dans «Langage enfantin et aphasie».
L’acquisition du langage par l’enfant
se fait donc progressivement et par
phases successives. La plupart du temps, elle se déroule bien, notamment
lorsque l’enfant se trouve dans un contexte affectif favorable et cela lui
permet par la suite de commencer à acquérir des connaissances qui vont lui
servir au cours de sa vie adulte. Les capacités linguistiques et la pensée
évoluent évidemment au cours de la vie, en particulier lorsque l’enfant fait
des découvertes, des rencontres, des lectures, tout au long de l’apprentissage
mais aussi lors d’évolutions sur les plans familial, social, personnel,
interpersonnel… Lorsque l’acquisition du langage se passe mal, il est alors
possible dans certains cas de retrouver une évolution satisfaisante grâce en
particulier à l’orthophonie et au soutien psychologique.
Les notions essentielles utilisées par
Piaget et Wallon sont la réaction circulaire, le symbole, la représentation,
l’imitation, le jeu, le signe, l’objet permanent, l’image mentale… Tout n’a pas
été abordé ici. En ce qui concerne l’étude de l’enfant, on pourra se reporter
aux œuvres des auteurs suivants : Jean-Jacques Rousseau, Wilhelm Preyer,
Hyppolite Taine, Wilhelm Wundt, Henri Delacroix, Wilhelm et Clara Stern, Alfred
Binet, Lev Vygotski, Edouard Claparède, René Spitz, Paul Guillaume, Bénédicte
de Boyssons-Bardies,
Bibliographie:
-Jean Piaget,
Le
langage et la pensée chez l’enfant, 1923
La formation du symbole chez l’enfant, 1945
Six études de psychologie, 1964
Psychologie et pédagogie, 1969
-Henri Wallon,
Les origines du caractère chez l’enfant, 1934
De
l’acte à la pensée, 1942
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