mercredi 23 février 2011

"Aux origines de la sociolinguistique, la conférence de sociolinguistique de l’UCLA" de Louis-Jean Calvet, par Paul-Eric Langevin (2011)

« Aux origines de la sociolinguistique, la conférence de sociolinguistique de l’UCLA »

Commentaire de l’article de Louis-Jean Calvet paru dans « Langage et Société »

Paul-Eric Langevin



La sociolinguistique est la partie de la linguistique ayant pour objet l’étude du langage et de la langue sous leur aspect socioculturel. William Labov est souvent considéré, du moins dans la tradition anglo-saxonne, comme le fondateur de la sociolinguistique moderne. C’est lui qui en 1966 publia « La stratification sociale de l’anglais à New-York ». L’auteur de l’article étudié, Louis-Jean Calvet, est un linguiste français né en 1942, qui a écrit une thèse sur le système des sigles en français contemporain, a passé un doctorat d’Etat sur les thèmes langue, corps, société et fut professeur à Paris V puis à l’université de Provence. Il a travaillé sur la linguistique et la théorie du signe selon le cours de Ferdinand de Saussure et les théories de Jacques Lacan.                                                                      
A quel moment apparait la sociolinguistique ? Par quelles voies ? Louis-Jean Calvet traite des rapports entre dialectologie et sociolinguistique mais  aussi des rapports entre linguistique historique et sociolinguistique. Une autre réunion du meme type a été organisée la meme année par le Summer Linguistic Institute de l’Indiana University. Selon Bailly et Séchehaie, les éditeurs du « Cours de linguistique générale » de Saussure, « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-meme et pour elle-meme. » Son exercice nécessite une convergence entre approche interne et approche externe des faits de langue ainsi qu’une convergence entre points de vue synchronique et diachronique. Antoine Meillet cherche à expliquer la structure par l’histoire. Pour lui, la langue est un fait social et un système ou tout se tient. Pour André Martinet, il n’y a de structure qu’en mouvement. Il indique la différence entre son point de vue et celui de Saussure : pour ce dernier, l’étude synchronique correspond à une portion de tronc d’arbre que l’on a coupé, alors que pour Martinet, celle-ci correspond plutôt à la sève qui coule de l’arbre. La linguistique et par conséquent la sociolinguistique nécessitent un travail sur les textes, les filiations, les relations, les réseaux. On peut en effet mettre en évidence une filiation Whitney-Saussure-Meillet-Martinet-Weinreich-Labov. Saussure a fait un travail de comparatiste. Meillet a été influencé par les travaux d’Emile Durkheim, l’un des fondateurs de la sociologie (cf revue dirigée par Durkheim : « l’année sociologique », revue dirigée par Martinet : « Word »).



Analyse interne de la réunion de 1964 

26 personnes étaient présentes (cf annexe) dont 13 ont présenté une communication. L’édition et l’introduction ont été le travail de William Bright.  L’article étudie le nombre de communications, le nombre d’interventions dans les débats : communicants, communicants/intervenants, intervenants, silencieux. On peut voir en annexe un tableau de quantification des interventions et des communications. Certains auteurs absents ont néanmoins leur importance : Edward Sapir, Leonard Bloomfield, Roman Jacobson. 

Meillet cite aussi le sociologue Marcel Mauss, neveu de Durkheim. Dell Hymes a un role particulier, c’est le plus connu parmi les présents à la réunion (« the ethnography of speaking »). Selon lui, il faut introduire une dimension sociale à la linguistique structurale qui prévaut à l’époque. Certaines notions ont leur importance : l’écologie linguistique, le plurilinguisme, la diglossie, la géographie dialectale. On cite certains auteurs comme Benjamin Whorf ou l’anthropologue Franz Boas. Les textes cités sont en anglais, allemand, espagnol, français, russe, suédois, norvégien, danois, tchèque. 

C’est une conséquence du travail sur le terrain ainsi que des origines des linguistes eux-memes. Selon Gumperz, l’accent doit etre mis sur les communautés et les répertoires linguistiques. Selon Samarin, il faut associer linguistique formelle et interprétation sociale.   Le travail doit etre mené suivant plusieurs axes : les langues de migrants, la planification linguistique, les systèmes d’écriture, la relativité linguistique. 

Chomsky plane comme une ombre sur la réunion bien qu’il ne soit pas cité : les participants se sentent menacés par sa théorie en pleine ascension. Hymes va écouter une de ses conférences. Au cours de la réunion, on oppose à la notion de structure celle de communauté linguistique. Les structuralismes ont produit une abstraction et cette réunion s’oppose à la linguistique formelle qui manque d’humanité et défend la linguistique fonctionnelle. Selon Gumperz encore, il y a des relations causales dans un sens ou un autre entre structures linguistiques et structures sociales. La variation linguistique est corrélée aux variations sociales. Les langues ne sont ni homogènes ni monolithiques mais soumises à variations et nécessitent une approche ethnolinguistique. 

Pour les théoriciens de l’Ecole de Prague, il faut faire la distinction entre langue standard et langue populaire, entre culture urbaine et culture populaire ; la standardisation d’une langue est en rapport avec le degré d’urbanisation. Les problèmes du plurilinguisme et des politiques linguistiques sont abordés, ainsi que celui du déficit linguistique, selon les travaux de Basil Bernstein. Actuellement on peut se référer aussi aux recherches de Josiane Boutet en France, à l’analyse des situations post-coloniales par Louis-Jean Calvet, l’auteur de l’article.

Selon Antoine Meillet, la langue étant un fait social, la linguistique doit etre une science sociale. Cependant, la sociolinguistique ne s’est pas autant développée qu’elle aurait du malgré son déplacement en Europe dans les années 70 : dispersion des intérets, absence de théorie unifiante, absence de force institutionnelle… En France, il y a quand meme une ecole de socio-linguistique représentée par Michel de Fornel, Michel Francard, Pierre Guiraud, Pierre Martinez. En Espagne, la discipline est représentée par Lluis Vicent Aracil, Rafael Ninyoles, Vicent Pitarch, Jose Maria Sanchez Carrion.    



Paul-Eric Langevin



BIBLIOGRAPHIE : 

« Sociolinguistique, approches, théories, pratiques », Gardin et Marcellesi, PUF, 1980
« Sociolinguistique » William Labov, Editions de Minuit, 1976
« Le parler ordinaire, la langue dans les ghettos noirs des E.U. », William Labov, Editions de Minuit, 1978
«Engager la conversation, introduction à la sociolinguistique interactionnelle », John Gumperz, Editions de Minuit, 1989
«Langage et classes sociales, codes sociolinguistiques et contrôle social », Basil Bernstein, Editions de Minuit, 1975
« Les voix de la ville, introduction à la sociolinguistique urbaine », Louis-Jean Calvet, 1994, Payot
« Le marché aux langues, les effets linguistiques de la mondialisation », Louis-Jean Calvet, Plon , 2002
« La sociolinguistique » , Que Sais-je ?, Louis-Jean Calvet, PUF, 1993
« Pédagogie, contrôle symbolique et identité » Basil Bernstein, 2007
«Matériaux pour une sociologie du langage », Marcel Cohen, 1956
« The urbanization of the Guarani language », Garvin, Mathiot, 1960
« The ethnography of communication », Gumperz, Hymes, 1964
« On the ethnology of linguistic change », Gumperz
« Languages in contact », Weinreich             



SUR  INTERNET

« Comment les mots changent de sens », Antoine Meillet, 1905

« The ethnography of speaking », Dell Hymes

«Linguistic and social interaction in two communities », John Gumperz   http://www.jstor.org/stable/668168                                                                            



ANNEXE 1:

Les participants de la conférence de 1964 : 

Henrik Birnbaum, William Bright, Margaret Bryan, Myles Dillon, Charles Ferguson, John Fisher, Paul Friedrich, Harold Garfinkel, Paul Garvin, John Gumperz, Einar Haugen, Henry Hoenigswald, Dell Hymes, Milka Ivic, Pavle Ivic, Gerald Kelley, William Labov, Howard Law, Madeleine Mathiot, Raven McDavid, Herbert Paper, Irvine Richardson, José Pedro Rona, William Samarin, Andrée Sjoberg, Robert Stockwell



Sources : 

Wrede, Gauchat, Jaberg, Hermann, Meillet, Vendryes, Sommerfelt, Martinet, Weinreich, Labov, Haugen, Ferguson, Friedrich



Bibliographie de l’article : 

Louis-Jean Calvet, Josiane Boutet, Norbert Dittmar, Peter Schlobinski, Haver Currie, Mauro Fernandez, Raoul de la Grasserie, Morris Halle, Konrad Koerner, Stephen Murray, Rafael Luis Ninyoles, Robert Phillipson, GR Pickford, Derek Price, John de Solla, Lambert-Felix Prudent, William Stewart, Peter Trudgill, Ethel Wallis, Glyn Williams



ANNEXE 2 :

Basil Bernstein : sociologue britannique spécialisé dans la sociolinguistique (1924-2000)

Uriel Weinreich : linguiste américain (1926-1967), ouvrages sur le yiddish, la culture ashkenaze, la dialectologie, le bilinguisme et la sémantique

Dell Hymes : (1927-2009) sociolinguiste, anthropologue et folkloriste, a développé le modèle SPEAKING, a travaillé sur les langues du Nord-Ouest du Pacifique

Harold Garfinkel : sociologue américain né en 1917, assistant de Talcott Parsons, a influencé Bruno Latour, professeur émérite à l’UCLA

William Labov : linguiste américain, professeur à l’université de Pennsylvanie, fondateur de la sociolinguistique quantitative, recherches en dialectologie 

Louis Gauchat : linguiste suisse (1866-1942), a étudié les patois de la Suisse Romande

Otto Jespersen : linguiste danois (1860-1943), spécialisé dans la grammaire de l’anglais

Morris Swadesh : (1909-1967) linguiste et anthropologue américain, a établi la liste Swadesh utilisée en linguistique comparée

Morris Halle: linguiste américain né en 1923, professeur au MIT, a travaillé avec Jacobson et avec Chomsky sur la phonologie, la morphologie, la poétique et les langues slaves, Mail : halle@mit.edu                 



ANNEXE 3 : TABLEAUX

Les sources de la sociolinguistique

Dialectologie, Linguistique historique, Bi- et plurilinguisme
Wrede (1902), Meillet (1905), M. Weinreich (1931)
Gauchat (1905), Vendryes (1921), U. Weinreich (1951)
Jaberg (1908), Sommerfelt (1932), Haugen (1953)
Hermann (1929), Martinet (1946), Ferguson (1959)
McDavid (1946), Weinreich (1953), Friedrich(1961)
Labov (1963)



Auteurs de communications citant des participants en bibliographie

William Bright : Ferguson, Garvin, Gumperz, Hymes, Labov
John Fisher : Garvin
Paul Friedrich : Hymes
John Gumperz : Bright, Haugen, Hymes, Labov
Einar Haugen : Ferguson, Garvin, Gumperz, Hoenigswald
Henry Hoenigswald : Haugen, Hymes
Dell Hymes : Garvin, Mathiot
Gerald Kelley : Friedrich, Gumperz
William Labov : Garvin, Mathiot
José Pedro Rona : Garvin, Mathiot, Haugen
William Samarin : Garvin, Mathiot
Andrée Sjoberg : Garvin                                 



Communicants citant des communicants, communicants cités par des communicants

Nbre citations, Citeurs, Textes, Langue
Bloomfield, 4, 4, 3, Anglais
Brown/Gilman, 2, 2, 1, Anglais
Carroll, 2, 2, 1, Anglais
Ferguson, 3, 2, 3, Anglais
Fisher, 2, 2, 1, Anglais
Garvin, 3, 3, 3, Anglais 
Garvin/Mathiot, 4, 4, 1, Anglais
Garvin/Riesenberg, 2, 2, 1, Anglais   
Gumperz, 3, 3, 3, Anglais     
Haugen, 3, 3, 3, Anglais     
Hockett, 2, 2, 1, Anglais       
Hymes, 4, 4, 1, Anglais    
Jacobson, 5, 2, 5, 4 anglais, 1 russe 
Jespersen, 2, 2, 2, Anglais
Labov, 3, 2, 3, Anglais
Pike, 2, 2, 2, Anglais
Sapir, 9, 4, 9, Anglais 
Sapir/Swadesh, 2, 2, 2, Anglais
Weinreich, 3, 3, 1, Anglais
Whorf, 3, 2, 3, Anglais



Participants total, Communications sur lesquelles il existe des interventions, Nbre interventions

Birnbaum, 1, 4
Bright, 5, 7
Bryan, 1, 2
Dillon, 3, 6
Ferguson, 6, 8
Fisher, 5, 10
Friedrich, 4, 8
Garfinkel, 3, 5
Garvin, 4, 4
Gumperz, 6, 8
Haugen, 6, 15
Hoenigswald, 3, 5
Hymes, 4, 6
M.Ivic, 2,2
P.Ivic, 6, 8
Kelley, 3, 4
Labov, 5, 6
Law, 2, 2
Mathiot, 5, 9
McDavid, 3, 4
Paper, 4, 5
Richardson, 1, 1
Samarin, 3, 3
Sjoberg, 1, 1
Stockwell, 2, 3                                                

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