Paul-Eric
Langevin
Syntaxe
Alain Rouveret
"Les inversions du sujet"
Commentaire de l’article de Claude Muller
Claude Muller, linguiste à l’université Bordeaux 3, aborde
dans son article «Les inversions du sujet et la structure de la proposition en
français» la question de l’organisation séquentielle des syntagmes. En
particulier, il traite de la typologie des langues SVO, des langues de type V2,
d’un point de vue diachronique au départ puis essentiellement d’un point de vue
synchronique en prenant l’exemple du français, de l’allemand et de l’ancien
français.
La typologie des langues a été introduite
par plusieurs linguistes, en particulier Joseph Greenberg dans les années
soixante. Il y a plusieurs genres de typologies mais celle abordée ici traite
de l’ordre des fonctions syntaxiques : SVO, VSO, SOV, OSV, VOS,
OVS. Nous nous intéresserons à celle du français moderne et des langues
romanes qui est SVO, c’est-à-dire Sujet-Verbe-Objet. Une langue V2 est une
langue à verbe second, c’est-à-dire une langue dont les propositions
principales ont toujours un verbe comme deuxième constituant. Le français
serait passé d’une langue V2 à une langue de type SVO. Une comparaison est
faite entre l’ordre des syntagmes dans les principales et l’ordre des syntagmes
dans les subordonnées, entre l’ordre optimal et l’ordre produit. L’importance
des constructions à inversion, et en particulier des inversions clitiques, est
soulignée. Les notions de topique et de focus sont mises en évidence. Dans une
construction à inversion du sujet, le sujet est alors en position de focus. Le
topique utilisé par les anglo-saxons correspond au thème en français et désigne
l’élément de l’énoncé qui est réputé connu par les participants à la communication. Le focus
utilisé de même par les anglo-saxons correspond ainsi au rhème en français,
c’est-à-dire un élément nouveau introduit dans l’énoncé.
-Dans l’armoire, les chaussures étaient
rangées.
-Dans l’armoire étaient rangées les
chaussures.
-Dans l’armoire étaient-elles rangées.
-Dans l’armoire, les chaussures
étaient-elles rangées ?
Importance des phrases
sans verbe dans certains contextes. Le verbe est le lien entre le thème et le
rhème, appelés aussi bien en sémantique le sujet et le prédicat. Le prédicat
porte l’information verbale ou le commentaire à propos du sujet. Dans certaines
constructions, le verbe se retrouve en position finale.
–Dans l’armoire se trouvaient les
chaussures.
(*) Dans l’armoire, les
chaussures se trouvaient.
-Dans ce bureau travaillent 4
personnes.
-Dans ce bureau, 4
personnes travaillent.
-Obéis, dit-il ; obéis, dit Jean.
-Que fait-il ? Que fait
Jean ?
-Que dit-il ? Que dit Luc ?
-Bonjour, dit-il ; Bonjour, dit
Luc.
Dans
les inversions, le verbe n’a pas forcément le même rôle. Possibilité ou non de
la négation. Le groupe verbal sert de lien entre le topique initial et le
focus. Types d’inversion : selon les périodes en diachronie, les
constructions à inversion ou les cliticisations sont plus ou moins utilisées en
français.
-Que sont mi ami devenu ?
-Que sont devenus mes amis ?
-Que sont-ils devenus ?
On distingue l’inversion clitique et
l’inversion nominale. Ces deux types d’inversion se sont différenciés. La notion
de déclencheur est ici très importante. Il s’agit du topique initial de la
phrase. Cette notion de déclencheur est aussi utilisée en algorithmique. La
notion de poids syntaxique a été introduite par Abeillé et Godard. Le
classement se fait selon le poids : légèreté et lourdeur. Le poids
syntaxique détermine la position des mots dans la phrase. L’inversion clitique
est divisée en deux catégories : l’inversion complexe (inversion due aux
incises) et l’inversion après «que» interrogatif. On étudie alors une véritable topologie de
l’inversion.
Déclencheur+groupe verbal+sujet
nominal+reste du syntagme verbal
Le groupe verbal est obtenu par
pied-piping dans un formalisme transformationnel. Ce nom vient de la fable du
joueur de flûte de Hamelin, en anglais «the pied-piper of Hamelin». Dans
l’analyse transformationnelle, le mot interrogatif se déplace au début de la
phrase en emportant avec lui certains éléments, tout comme le joueur de flûte
faisait se déplacer les rats. Les éléments placés avant le sujet sont désignés sous le nom d’unité
prédicative minimale. Le verbe est placé au centre dans la plupart des
descriptions.
Déclencheur+verbe+sujet
nominal+structure canonique
Dans certains cas, on parle de structure
disloquée. La notion d’inversion du sujet nominal met en relation la structure
à sujet postposé et la structure à sujet antéposé.
Inversion : déclencheur-groupe
verbal-sujet-reste du syntagme verbal
Ordre canonique :
déclencheur-sujet-syntagme verbal
-A mes neveux, je lègue ma collection
de timbres.
Place de l’inversion clitique :
on parle de contraintes communicatives. L’inversion clitique en subordonnée
reste minoritaire. En diachronie, on parle d’extraposition pour le sujet.
L’inversion clitique est une opération morphologique plus que syntaxique. Les
notions de classe TVS et de système TVS sont abordées. Nous n’avons pas trouvé
à quoi ces termes font référence.
Déclencheur-sujet nominal-verbe-il-reste du syntagme verbal
-Quand Paul est-il venu ?
-Peut-être Paul est-il venu.
-Aussi a-t-il accepté de venir.
-Du moins a-t-il accepté de venir.
-Venait-il ? ; Venait-il que
tout le monde se sauvait.
Il y a deux types de déclencheurs.
L’inversion est de type locatif ou temporel. Le verbe correspond à une copule.
On aborde la notion de dépendance immédiate dans l’inversion clitique, ainsi que
l’incomplétude énonciative du verbe et du traitement syntaxique du sujet
nominal postposé. Un objet direct peut être commun à deux relatives
coordonnées.
-Les hommes qui remplissent et ceux qui
vident les verres sont différents.
-C’est ce que dit que fait Mimi quand
elle a des visites.
L’auteur cite John Palsgrave, auteur de
«l’éclaircissement de la langue française» (1530), considérée comme la première
grammaire du français. Elle s’adressait à des anglais qui voulaient apprendre
le français.
-Le roy où s’en va-t-il ?
-Charles où est-il ?
-Ma robe est-elle nette, mon cheval
l’avez-vous sellé ?
L’auteur fait de
plus une recherche sur Frantext des occurrences de la suite « que
peut-être» et trouve 879 occurrences dont 56 sont des cas d’inversions
clitiques.
-Peut-être est-il venu.
-Peut-être, il est venu.
-Peut-être Luc est-il venu.
-Luc est-il venu ? Peut-être.
(*) Peut-être qu’est-il venu.
-Il a tellement envie de venir que
peut-être viendra-t-il quand même nous voir.
–Tant de filles honnêtes sont
devenues de malhonnêtes femmes que peut-être serai-je un exemple contraire.
On prend aussi en considération l’antéposition courte morphologique du
verbe. La conjonction «que» joue un rôle dans l’attachement du mot verbal au
déclencheur, le complémenteur étant en position C. Le «il» impersonnel est en
position de clitique sujet ; on prend aussi en compte le principe de
suppression de la redondance. L’énonciation est modulée par le déclencheur.
-Qu’a demandé Luc à sa petite
amie ?
-Luc a demandé quoi à sa petite amie ?
-Qu’a voulu acheter Luc à Marie ?
-Qu’a prétendu vouloir
faire admettre Luc à Marie ?
-A quelle heure ferment les magasins en
France ?
L’auteur cite les grammairiens
Damourette et Pichon, auteurs d’une importante grammaire du français au
vingtième siècle. On fait une distinction topologique du verbe des
constructions à sujet nominal postposé et du verbe des inversions clitiques. Il
faut distinguer le pronom «que» de la conjonction «que».
–Ce que soudain sans hésiter dit Jean.
-Que dit vouloir faire Jean ?
-Ce que dit vouloir faire Jean…
(*)Que soudain sans hésiter dit
Jean ?
L’ancien français est une langue à
structure V2, l’auteur se référant pour les études en diachronie au travail de
Christiane Marchello-Nizia. La syntaxe des structures à sujets postposés est
étudiée, ainsi que la structure complémentaire du groupe verbal antéposé. La
phrase canonique est en général de type SVO en français moderne. D’autres linguistes sont cités :
Maurice Gross, Zelig Harris, Kayne et Pollock…
Comme l’auteur commence à le faire dans un exemple, on peut
reprendre les exemples utilisés dans l’article pour en faire une analyse
chomskyenne de ce type :
-[C’est ce que
[ GV dit [ que fait (-)]] Mimi… ]
-[SP Dans l’armoire, [SN les
chaussures] [GV étaient rangées]]
-[SP Dans l’armoire [GV étaient
rangées] [SN les chaussures.]]
-[SP Dans l’armoire [GV étaient-[SN
elles] rangées.]]
-[SP Dans l’armoire, [SN les
chaussures] [GV étaient-elles rangées ?]]
-[SP Dans l’armoire [GV se trouvaient]
[SN les chaussures.]]
-[SP Dans ce bureau [GV travaillent] [SN 4
personnes.]]
-[SP Dans ce bureau, [SN 4 personnes]
[GV travaillent.]]
-[SP A mes neveux, [SN je] [GV lègue
ma collection de timbres.]]
-[GV Venait]-[SN il] [C que [SN tout
le monde] [GV se sauvait.]]
-[SN Les hommes [C
qui [GV remplissent]]] et [Clitique ceux [C qui [GV vident les verres]]] [GV sont
différents.]
-[SN Il] [GV a tellement envie [SP de
venir]] [C que [GV peut-être viendra-t-[SN il] quand même nous voir.]]]
- [SN Tant de filles honnêtes] [GV sont
devenues de malhonnêtes femmes] [C que [GV peut-être serai-[SN je] un exemple
contraire.]]
-[C Qu’ [GV a prétendu [V vouloir
[V faire [V admettre]]]] [SN Luc] [SP à Marie] ?
-[SP A quelle heure] [GV ferment]
[SN les magasins] [SP en France] ?
Bibliographie :
- John Palsgrave, l’éclaircissement de la langue française, 1530
- Damourette et Pichon, Essai de grammaire de la langue française,
1911,1940
- Abeillé et Godard, Le poids des mots : la place de
l’adjectif épithète, 1999
-Christiane Marchello-Nizia, Le français en diachronie : 12 siècles
d’évolution, 1999