La recherche schubertienne depuis le cent-cinquantenaire
Par Paul-Gilbert Langevin
Notes
• Otto-Erich DEUTSCH : Franz Schubert, Thematisches Verzeichnis seiner Werke in chronologischer Folge. Édition nouvelle en allemand, revue et réalisée par la direction musicale de la Neue Schubert Ausgabe et W. Aderhold. Kassel, Bärenreiter, 1978. 712 pages 19 x 27. Plusieurs milliers d'exemples musicaux.
• Ernst HILMAR : Verzeichnis der Schubert-Handschriften in der Musiksammlung der Wiener Stadt- und Landesbibliothek. Kassel, Bärenreiter, 1978, « Catalogus musicus », VIII. 16 + 144 pages de texte ; 105 planches 19 x 27.
• Franz Schubert : Exposition de la Wiener Stadt- und Landesbibliothek pour le Cent-cinquantenaire du compositeur. Catalogue réalisé par Ernst Hilmar et Otto Brusatti, avec une Introduction de Walter Obermaier. Vienne, Universal-Edition, 1978. 32 pages Introduction et Index ; 316 rubriques avec clichés (22 x 23).
• Schubert-Kongress Wien 1978, organisé par l'« Oesterreichische Gesellschaft für Musikwissenschaft » en liaison avec les Wiener Festwochen. Compte rendu édité par Otto Brusatti (35 contributions). Graz, Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1979. 390 pages 17 x 24 ; nombreux exemples musicaux ; 1 planche hors-texte ; index. 580 Schilling autr. (env. 190 F).
• Franz Schubert, numéro spécial des Cahiers « Musik-Konzepte », réalisé par Heinz-Klaus Metzger et Rainer Riehn (15 contributions). Munich, Edition Text + Kritik, 1979. 312 pages 15 x 23 ; exemples musicaux ; schémas ; index. DM 34 (env. 75 F).
• Schubert Studies. Problems of style and chronology. Ouvrage réalisé par Eva Badura-Skoda et Peter Branscombe. Cambridge (Angleterre), Cambridge University Press, à paraître fin 1981 (14 contributions). Environ £ 25 (280 F) ; tarif souscription sur demande.
• Franz Schubert : Neue Ausgabe sämtlicher Werke (Neue Schubert-Ausgabe). Réalisée par l'Internationale Schubert-Gesellschaft. Publication en cours depuis 1965. 8 séries, env. 75 volumes dont une quinzaine déjà parus. Kassel, Bärenreiter. Souscription complète ou par séries encore possible. Les oeuvres publiées isolément sont référencées dans le catalogue spécial «Franz Schubert» du même éditeur.
• Éditions spéciales en fac-similé : Symphonie n° 8 en si mineur, « Ina-chevée », partition et esquisses, éd. Walther Dürr et Otto Biba. Munich/ Salzburg, Musikverlag Emil Katzbichler, 1978 — « Drei Symphonie-Fragmente » (D 615, 708A, 936A), éd. Ernst Hilmar. Kassel, Bârenreiter, 1978 (Documenta musicologica », 2/VI).
• Symphonie n° 7 en Mi majeur (D 729), réalisation Brian Newbould, partition et matériel en location auprès du réalisateur, The University, Hull HU6 7RX (Angleterre). A paraître en 1981, Londres, Oxford Uni-versity Press.
Tout change. Mais quand il s'agit de réévaluer l'oeuvre d'un grand artiste, le plus souvent une longue période est nécessaire : voir les cas récents de Mahler puis de Bruckner. Avec Schubert, nous assistons à ce phénomène unique, d'un musicien dont les oeuvres les plus célèbres, constamment répétées, donnaient de lui une image étriquée, convenue, et pour tout dire totalement fausse, alors qu'on découvre soudain, un siècle et demi après sa mort, quel incommensurable géant il fut ! De toutes les publications — qu'il s'agisse d'édition musicale ou de nomenclatures ou essais de toute nature — parues depuis quelques années, peu de chose, il faut le dire, a pour l'instant franchi les frontières de notre pays. Certes, par son succès même, la somme publiée fin 1977 par Brigitte Massin (1) a permis déjà une notable évolution des esprits, ne serait-ce que quant à l'importance quantitative de la production schubertienne. Mais bien des données intervenues depuis n'y sont pas incluses ; et la tentative de mise au point que nous fîmes en 1978 et 1979 (2) pour ce qui est des symphonies, non seulement n'est déjà plus tout à fait à jour, mais devrait se compléter par des essais du même type touchant toutes les autres grandes formes illustrées par Schubert. Dans les pages qui suivent, on commentera donc brièvement les principales parutions intervenues depuis le cent-cinquantenaire, ou annoncées pour une date prochaine.
A tout seigneur tout honneur. Le jour même de l'anniversaire (19 novembre 1978) paraissait en Allemagne l'édition nouvelle, en langue allemande (l'original anglais remontait à 1951) du monumental catalogue thématique d'Otto-Erich Deutsch, homologue du Köchel mozartien et qui permet désormais de désigner toute oeuvre de Schubert chronologiquement par la lettre D suivie d'un nombre. Entre la première édition et celle-ci, le catalogue a connu un nombre impressionnant de corrections du fait de l'évolution de la connaissance des autographes et surtout de leur datation (nous verrons plus loin combien ce problème préoccupe les chercheurs) : la première version — et du même coup sa réimpression « pirate » effectuée voici quelques années aux Etats-Unis par Kalmus —sont donc aujourd'hui caduques.
1. Brigitte MASSIN, "Franz Schubert" (Paris, Fayard, 1977), 1392 p.
2. « Schubert après Schubert, Un grand dossier historique et musical », L'Éducation musicale, numéros 248, 249, 252, 253, 256, 258, 262 (mai 1978 à novembre 1979).
L'imposant volume nouveau n'est évidemment pas à la portée de tous, et pas même de chaque professionnel à qui il pourrait rendre service. D'un peu moins de 600 F à la souscription, son prix a dû grimper aujourd'hui, à l'importation, au voisinage de 1 000 F (en moyenne 1 F l'oeuvre)! Mais rien n'y manque, chaque rubrique présentant une véritable « carte d'identité » de la pièce concernée et les incipit de chacun de ses mouvements, le tout disposé avec une exemplaire clarté et dans un ordre systématique pour chaque donnée. Le lecteur même non familier avec la langue de Goethe n'aura besoin, pour exploiter la plus grande part de cette documentation exceptionnellement précise, de connaître qu'un petit nombre de mots-clés (Erste Ausgabe = Première édition ; Erstaufführung = Première exécution...), dont certains d'ailleurs sont passe-partout (Autograph ; Text...) L'ouvrage n'appelle que quelques réserves mineures, dont une seule est vraiment gênante : c'est le parti-pris qui a conduit à dénuméroter les deux symphonies les plus connues ; ce qui va entraîner (et a déjà entraîné) d'ahurissants quiproquos. Si grave qu'elle nous paraisse, cette maladresse ne saurait déprécier l'ensemble d'un travail qui fera longtemps autorité.
Pour mémoire (car leur commentaire outrepasserait cette rubrique), rappelons que cette réédition du Catalogue Deutsch se situe dans le cadre d'une entreprise beaucoup plus vaste, laquelle n'est autre que la nouvelle édition critique intégrale de toute l'oeuvre schubertienne, en cours depuis une quinzaine d'années et dont quinze volumes sont parus sur les quelque soixante-quinze prévus. Cet ensemble, auquel travaillent un groupe de chercheurs de l'Université de Tübingen qui ont fondé à cet effet l'Internationale Schubert-Gesellschaft, a pour ambition de fournir non seulement des textes rigoureux sur le plan de la lecture des autographes, mais aussi des matériels appelés à remplacer ceux qui ont eu cours depuis l'ancienne édition Breitkopf. Hélas, la tâche est encore loin d'être accomplie ; et ces matériels font encore défaut dans des cas où ils seraient pourtant indispensables, en particulier pour les symphonies. Pour celles-ci, on n'a donc d'autre ressource que de rectifier les anciens matériels d'après les nouvelles partitions. C'est ce que fit notamment le chef américain John Perras pour son récent enregistrement des deux premières (RCA). Nous parlerons plus loin du cas de l'Inachevée.
Également en 1978 paraissaient deux volumes à bien des égards précieux, mais que seul le spécialiste pourra vraiment exploiter. L'un —complément naturel du Catalogue Deutsch— inventorie pour la première fois avec précision la collection d'autographes schubertiens de la Bibliothèque municipale de Vienne, la plus riche du monde en la matière grâce au legs que lui fit au début de ce siècle le persévérant rassembleur que fut Nicolaus Dumba. Mais il ne suffisait pas d'un simple recensement. Dans maint cas essentiel, il fallait aussi rétablir des datations fantaisistes, et c'est là que se situe l'un des principaux mérites de l'inventaire ici présenté. Son auteur, qui dirige depuis quelques années le département musical de la Bibliothèque, Ernst Hilmar, a exploité à cette fin des méthodes mises au point par le chercheur américain Robert Winter, notamment l'étude des filigranes — dont la reproduction occupe toute la seconde moitié du volume. Le cas le plus spectaculaire de ces re-datations concerne 3 celle de la grande esquisse symphonique en Ré majeur que Schubert écrivit dans les derniers mois de sa vie (D 936A dans le Nouveau Deutsch) et non en 1818 comme on le crut longtemps sur la foi d'un mauvais classement des feuillets ! C'est le même auteur, du reste, qui «postface» la récente publication en fac-similé des Trois Symphonies fragmentaires comprenant l'ébauche de cette bouleversante «Dixième Symphonie» à partir de laquelle des versions exécutables ont déjà été réalisées par deux compositeurs différents, l'un Allemand, l'autre Anglais. On n'a pas fini de parler de cette incroyable révélation... Mais disons un mot ici de celle que nous promet aussi Hilmar avec la livraison du fac-similé d'une autre esquisse fondamentale de la dernière période schubertienne : celle de l'opéra Le Comte de Gleichen (D 918), où le musicien voulait faire entendre — il le dit lui-même à son lit de mort — des choses entièrement neuves et dont nul n'avait idée. A l'exception de sa toute dernière scène, l'oeuvre est entièrement ébauchée ; mais son déchiffrage est, hélas, encore plus difficile que celui du brouillon de la 10ème Symphonie.
Tous ces manuscrits, et de nombreux documents iconographiques, furent exposés à la Stadtbibliothek pour le Cent-cinquantenaire ; et le catalogue de cette manifestation constitue un volume richement illustré, avec présentation et commentaires bilingues (allemand-anglais), qui apporte lui aussi au chercheur schubertien des éléments de documentation infiniment précieux. Toute la carrière du grand musicien y revit au travers de pages d'autographes, portraits de Schubert et de nombreux contemporains, lieux fréquentés ou visités, affiches de premières auditions, gravures allégoriques, lettres, dessins, pages de titre d'éditions...
Avec les trois volumes suivants, nous entrons dans le domaine des essais et études critiques qui se sont multipliés de manière quasi-exponentielle depuis le cent-cinquantenaire, lequel est encore à l'origine de la plupart de ces initiatives. A Vienne même avait lieu en juin 1978, dans le cadre des Semaines musicales, un important congrès consacré à Schubert, et où tous les spécialistes mondiaux se retrouvèrent pour confronter leurs travaux. C'est dire combien riche et éclairant peut être le volume qui livre le texte complet de toutes les interventions, paru l'année suivante. On ne saurait certes faire un sort ici à chacun de ces trente-cinq essais, de sujets et de dimensions fort inégaux, mais parmi lesquels certains discutent les problèmes les plus cruciaux de la recherche schubertienne.
3. Voir « Le Miracle de la Dixième Symphonie », chapitre V de notre Dossier référencé [note 2], L'Éducation musicale, n° 262 (novembre 1979), p. 67.
A côté de questions relatives à la forme ou à l'écriture (A. Mann, C. Dahlhaus, P. Gülke), aux relations texte-musique (B. Massin, Y. Chochlow), aux principes de l'édition (A. Feil, C.-H. Mahling), à l'environnement historique (O. Biba, W. Obermaier, H. Zeman, G. Gruber), ou d'essais concernant telle oeuvre particulière, on constate que revient dans plusieurs contributions la discussion relative aux problèmes de datation, qui apparaît donc comme le souci majeur de la critique schubertienne actuelle. Ce sont encore Otto Biba et Ernst Hilmar qui apportent les plus étonnants éléments, avec des conclusions décisives quant à la réelle date de composition de la Grande Symphonie en Ut, et son identification avec la « Symphonie de Gastein » prétendûment perdue. Il reste d'ailleurs entre les deux auteurs (nous nous en sommes entretenu dernièrement de vive voix avec eux) quelque divergence quant à l'interprétation du fameux dernier chiffre du millésime de l'autographe (ce second 8 de « 1828 » qui pourrait bien être en réalité un 5) ; mais l'argument définitif semble être la remise au jour de deux factures de copistes qui prouvent que le matériel (toujours conservé à la "Gesellschaft der Musikfreunde") a été établi dans les premiers mois de 1827 : la symphonie n'est donc autre que celle remise par Schubert à cette célèbre Société fin 1826, et que celle-ci prima de 100 Gulden tout en prenant bien soin d'éviter que cette somme soit Considérée comme le paiement d'une commande ! D'où tout l'imbroglio dans la datation, le manuscrit n'ayant volontairement pas été enregistré à sa date réelle.
Avec ces conclusions, le problème de l'hypothétique symphonie perdue aurait donc dû trouver son épilogue sans retour. Hélas! Dans le même volume, surgit sous la plume de Harry Goldschmidt la relation de l'existence d'Une autre Symphonie en Mi majeur, dite « n° 2 » pour la distinguer de D 729, et dont la partition a été récemment reconstituée d'après un matériel qui était, en 1974, en possession d'une famille berlinoise du nom de Wolff. Ceci pourrait n'être que le résultat d'une falsification où l'auteur du rapport, en toute bonne foi, serait tombé le premier (et la prise de position des directeurs de la Neue Schubert-Ausgabe, annexée au texte de H. Goldschmidt, est à cet égard très sévère). Mais à défaut de pouvoir produire la moindre parcelle d'autographe, l'auteur tente une brillante démonstration musicale destinée à prouver que Schubert n'a pas pu mener à bien la Grande Symphonie en Ut (dont il admet qu'elle ait été entreprise en août 1825 à Gastein) sans avoir au préalable écrit une autre esquisse, en Mi celle-là, le mois précédent à Gmunden, et qu'il aurait abandonnée. C'est cette esquisse hypothétique qui serait à la base du travail de réalisation qui a produit la symphonie aujourd'hui existante, travail que H. Goldschmidt, en s'aidant de lettres dont il ne peut malheureusement étayer suffisamment la provenance, situe dans les années 1880. Il reste que la symphonie contient d'abondants éléments schubertiens, mais peu de matériau neuf : ce sont surtout des emprunts à des oeuvres très connues, de dates entourant l'année 1825 (de la "Wanderer-Fantasie" à l'Octuor, y compris, au Finale, une «anticipation» formelle assez étonnante de celui de la «Grande»); mais elle n'a pas encore été exécutée, et sa création berlinoise, constamment ajournée jusqu'à maintenant, est attendue avec la plus extrême curiosité par quiconque souhaite percer ce mystère...
Paru à peu près simultanément, fin 1979, le volume suivant s'inscrit dans la passionnante série de cahiers réunis sous le titre Musik-Konzepte, et dont chacun est dévolu à un maître de la musique dont l'oeuvre soulève des problèmes particulièrement actuels ou en pleine évolution. Tandis que les cahiers «ordinaires» (de Debussy à Mendelssohn en passant par Wagner, Beethoven, mais aussi Alban Berg — deux cahiers consacrés à l'étude exhaustive de sa musique de chambre — ou Janacek) ne comptent qu'une centaine de pages, celui consacré à Schubert est le second des «Cahiers spéciaux» et en offre plus du triple, avec une quinzaine de contributions presque toutes passionnantes .et qui tranchent dans le vif des grands débats que peut soulever le sujet. Une brève introduction coup de poing intitulée « Schubert kaputt? » donne le ton : comment écouter sa musique aujourd'hui? Suivent toute une série de réponses, ou de tentatives de réponse, au fil desquelles se dessine le profil du novateur radical que fut en vérité le musicien. L'un des essais les plus révélateurs, bien qu'assez ardu pour le profane, est celui qui rend compte, par des procédés d'analyse schönbergienne, de l'orchestration par Dieter Schnebel du premier mouvement de la Sonate «Reliquie» D 840: ce compositeur allemand contemporain ayant en vue, non de transposer la pièce pour un ensemble autre que l'original, mais bien de faire un sort à chaque intention cachée de l'écriture schubertienne. Pour être discutable — tout comme l'orches-tration du Grand Duo par René Leibowitz, elle aussi évoquée dans ce volume —, l'initiative n'illustre pas moins la parole combien véridique de Schönberg : « On m'accuse d'être révolutionnaire ; mais je n'en suis qu'un bien petit auprès de Schubert ! » Mais c'est encore avec le grand essai de Peter Gülke sur les Trois symphonies fragmentaires que l'on atteindra la plus puissante démonstration du caractère prophétique de l'oeuvre schubertienne. Cet auteur, qui a lui-même donné la première version orchestrale des précieuses esquisses et l'a dirigée à Dresde, à Berlin et aux États-Unis, offre un commentaire approfondi de l'autographe, et justifie sa démarche par le fait que même demeurée à l'état de brouillon, la musique est si visiblement « pensée » pour l'orchestre (témoin les constantes indications d'instrumentation dont sont émaillées les portées) que seule une réalisation symphonique peut en révéler toute la substance.
De la longue « réflexion analytique » du même auteur sur le Quintette op. 163, seul le professionnel déjà très averti pourra vraiment tirer tout le profit. Et à côté de textes « historiques » comme celui de Liszt sur "Alfonso e Estrella" (qu'il écrivit lorsqu'il monta l'opéra à Weimar, en 1854), on trouvera encore mainte discussion de telle oeuvre particulière, ou de thèmes généraux comme « La littérature schubertienne et ses clichés » (N. Nagler). Après une discussion finale entre six participants sur le thème : « L'énigme Schubert », qui reproduit une émission de la Hessische Rundfunk du 23 décembre 1978 (clôture de l'Année Schubert), l'un des responsables de la publication, Rainer Riehn, donne une nomenclature résumée, par genres musicaux, de toute l'oeuvre de Schubert, appelée à rendre bien des services à qui reculera devant la dépense du Nouveau Deutsch. Bref, un volume qui se recommande à tout schubertien ayant un minimum de notions d'allemand.
Non encore paru, un troisième volume d'essais, en langue anglaise celui-là, est annoncé depuis plus de deux ans dans la littérature schubertienne ; et ses éditeurs, Eva Badura-Skoda et Peter Branscombe, prévoient maintenant sa sortie de presses pour l'automne de 1981, à Cambridge. Mais on peut d'ores et déjà considérer qu'il s'agira là d'une publication de très grand retentissement, car on y trouvera en particulier, parmi les quelque quatorze contributions, le travail fondamental de l'auteur américain Robert Winter sur les datations, et la description des nouvelles méthodes qu'il a mise au point (« Paper studies and the future of Schubert research »). Parmi les autres essais annoncés, citons, encore dans le domaine de la chronologie, des contributions de Paul Badura-Skoda sur la datation de la Grande Symphonie en Ut et de Reinhard Van Hoorickx sur celle des fragments et esquisses ; ainsi que des études générales de Walther Dürr sur les poèmes mis en musique par Schubert, d'Arnold Feil sur « Le rythme chez Schubert », ou particulières sur le Quatuor « La Jeune Fille et la Mort » (C. Wolff) ou sur les Trios avec piano (E. Badura-Skoda).
Pour clore ce survol, et sans pouvoir commenter individuellement les parutions de textes musicaux (elles sont trop nombreuses), revenons sur le cas de deux des symphonies les plus problématiques, et d'ailleurs inachevées l'une et l'autre, celle en si mineur (qui, pour nous, porte toujours le numéro 8, n'en déplaise au Nouveau Deutsch), et la précédente en mi majeur (pour nous la Septième). L'autographe de la célèbre Inachevée a fait l'objet, pendant l'Année Schubert, d'une nouvelle édition en fac-similé, parue en coproduction entre un éditeur austro-allemand et la "Gesellschaft der Musikfreunde", détentrice des précieux documents. D'un prix « défiant toute concurrence », cette reproduction se distingue non seulement par sa qualité graphique, mais par la présence de la seconde page (retrouvée en 1969 par Christa Landon à Vienne) de la partition du Scherzo, ainsi que de tout ce que l'on possède de l'esquisse pianistique (« particelle ») des trois mouvements, y compris les pages restées vierges. On peut ainsi suivre pas à pas le processus créateur, et conclure en toute vraisemblance que le Scherzo était totalement « pensé » dans l'esprit du compositeur, mais qu'en revanche rien ne permet d'affirmer qu'un Finale lui ait jamais été adjoint. La proposition de remplacer ce dernier par l'entracte n° 1 de Rosamunde, si elle demeure musicalement intéressante, ne repose donc pas sur un fondement critique objectif.
Un autre enseignement majeur de cette publication (mais on pouvait déjà s'en convaincre par les études musicologiques précédemment parues) est le nombre considérable de divergences existant entre les éditions imprimées ayant cours jusqu'à maintenant et l'autographe schubertien. Ces divergences sont de deux ordres : celles qui touchent l'accentuation (donc la dynamique) ; et celles qui affectent des notes proprement dites. A cette deuxième catégorie appartient l'accord bien connu qui intervient en fin d'exposition (et de reprise) dans le premier mouvement, et qui fut édulcoré par une retouche visible au crayon, d'une main étrangère à celle de Schubert (on en a accusé Brahms, mais sans preuve). Quant aux divergences dynamiques, elles sont légion, et du même type que celles qui affectent toutes les autres symphonies : elles proviennent essentiellement d'une mauvaise lecture des accents, confondus avec des diminuendi. Déjà l'édition Heugel de 1951 (revue par Édouard Lindenberg) en avait rectifié la plupart ; mais il appartenait à Martin Chusid d'en faire définitivement justice dans son édition critique de 1971-72 (Norton critical scores, USA, ou Chappell, Londres). A défaut de l'exorbitant nouveau fac-similé, cette précieuse petite partition devrait être entre toutes les mains de qui veut vraiment « remonter aux sources » de cette oeuvre mondialement célèbre ; et rend inadmissible toute exécution qui serait encore affectée des nombreuses erreurs de l'ancienne édition Breitkopf.
Quant à la Symphonie en Mi (D. 729), bien du nouveau à son sujet a paru depuis notre étude récente (4), et surtout trois nouvelles réalisations dues respectivement à des auteurs russe (Leonid Butir), bulgare (Boris Spassow, 1978) et anglais (Brian Newbould) ; cette dernière version (créée à Cheltenham en juillet 1978) est seule disponible en Occident ; et sa qualité remet en question nos précédentes conclusions en faveur de la version Barnett/Amoudruz. Sans entrer dans une confrontation détaillée, on peut dire en bref que ce beau travail offre de l'esquisse schubertienne une vision d'une parfaite clarté et lisibilité, partant d'un point de vue —qui n'est évident qu'en apparence — selon lequel moins on ajoute de lignes contrapuntiques ou d'ornements non originaux, plus grande demeure la proportion du texte schubertien dans la partition résultante. Grâce à un judicieux équilibre entre cette volonté d'économie et la nécessité, non moins impérieuse, de « projeter l'oeuvre vers l'avenir », Newbould parvient à une réussite qui rejette dans l'ombre tous ses concurrents, et qui s'affirme particulièrement au Finale. Nonobstant son achèvement posthume, la symphonie D. 729 peut et doit désormais, au même titre que le Requiem de Mozart, devenir un monument du répertoire.
Paul-Gilbert Langevin.
Article paru dans la "Revue de Musicologie" en 1980.
4. « La vraie Septième de Schubert et sa résurrection », Revue musicale suisse, 118/3-4 (1978), condensé dans le chapitre I de « Schubert après Schubert », L'Éducation musicale, n" 248 et 249 (1978).
* Les « Inachevées » de Schubert dans l'actualité internationale
• La Symphonie n° 7 en Mi majeur (D. 729, 1821) a fait en mai 1980 l'objet d'un enregistrement dans la version nouvelle de Brian Newbould, par l'Orchestre radio-symphonique de Berlin sous la direction de Gabriel Chmura (RCA, à paraître en 1981 en Allemagne). La même oeuvre est inscrite au programme de deux concerts du même orchestre, les 10 et 11 mai 1981 (salle de la Philharmonie de Berlin) : elle sera alors dirigée par Bernard Klee. Enfin, dans la réalisation Barnett/Amoudruz, elle a été interprétée en studio en décembre 1980 à Lugano par l'orchestre de la Radio suisse italienne sous la direction de Marc Andreae.
• La Symphonie n° 8 en Si mineur (D 759, 1822), avec le Scherzo complété et orchestré par Florian Hollard et l'entracte n°1 de Rosamunde comme Finale, a été enregistrée pour la première fois par l'Orchestre de Radio-Télé-Luxembourg sous la direction du réalisateur (Vogue-Contrepoint 524 012). Précisons que pour les deux premiers mouvements, l'enregistrement suit le texte original de Schubert. Dans sa version en trois mouvements, avec la même réalisation pour le Scherzo, l'oeuvre a été créée à Berlin les 29 et 30 mars 1981 sous la direction de Walter Weller (Orchestre radio-symphonique de Berlin, Grand auditorium de la SFB).
• La Symphonie n° 10 en Ré majeur (D 936A, fin 1828) a fait l'objet d'une présentation commentée pour la première fois en France le mardi 31 mars 1981 à l'Institut Autrichien (30, boulevard des Invalides, 75007 Paris), avec la participation d'Ernst Hilmar (Vienne), Harry Halbreich (Bruxelles), Paul-Gilbert Langevin (Paris) et Jean-Claude Henriot au piano. Les réalisations orchestrales de Peter Gülke (Dresde) et Brian Newbould (Hull) ont été discutées.
* Actualité brucknérienne
• L'«Anton Bruckner Institut Linz», fondé en 1978 par Franz Grasberger, a inauguré le 6 avril 1981 ses locaux sis au Brucknerhaus (Palais des Festivals) à Linz. A cette occasion a été présenté à la Presse le compte rendu du Colloque "Die Fassungen" qui s'est tenu à Linz du 14 au 16 septembre 1980 dans le cadre du 7ème Festival international Bruckner. Rappelons que l'A.B.I.L. publie une série de volumes spéciaux sous le titre : "Anton Bruckner, Dokumente und Studien", dont trois ont déjà paru, ainsi qu'un Annuaire, le Bruckner-Jahrbuch, qui a débuté en 1980 et qui rassemble de nombreux essais consacrés à divers aspects de l'oeuvre de Bruckner. Ces publications sont commercialisées par l'Akademische Druck- und Verlagsanstalt, Auersperggasse 12, 8010 Graz (Autriche).
• Entreprise voici un demi-siècle, et menée par deux équipes successives de réalisateurs, l'édition critique intégrale de l'oeuvre de Bruckner arrive à son terme en 1981 (hormis deux volumes de pièces mineures). La « Seconde édition révisée », dirigée par Leopold Nowak et qui pour les symphonies comporte 16 volumes, a livré entre 1973 et 1977 les versions primitives (« Urfassungen ») des Troisième, Quatrième et Huitième symphonies, qui jettent une lumière décisive sur l'évolution de l'écriture brucknérienne. S'y ajoutent, dans les dernières parutions, une variante (1876) de l'Adagio de la Troisième, le second Finale (1878) de la Quatrième, qui s'était vu encore remanié dans la version définitive (1880) ; enfin une réédition de la seconde version (1877) de la Troisième avec une Coda inédite au Scherzo (sous presse). Ces éditions du "Musikwissenschaftlicher Verlag" (Vienne) sont commercialisées par le "Musikhaus Doblinger" (représentant Mario Bois, Paris). Signalons également que pour la première fois, en 1980, l'une des "Urfassungen" a été gravée sur disques : il s'agit de celle de la Quatrième, dans l'interprétation de la création (1975), par la Philharmonie de Munich sous la direction de Kurt Wöss. Cet album de 2 disques à prix économique (150 Schillings, environ 50 F) peut être commandé directement au producteur : Linzer Veranstaltungsge-sellschaft, Brucknerhaus, 4010 Linz (Autriche).
• A Paris, ces deux mêmes symphonies figurent encore aux programmes de l'actuelle saison de concerts : la Troisième le mercredi 1er juillet 1981 à 20h30 au Théâtre des Champs-Elysées, par l'Orchestre national dirigé par Lorin Maazel ; et la Quatrième les jeudi 11 et vendredi 12 juin à 20h30 au Palais des Congrès, par l'Orchestre de Paris dirigé par Sir Georg Solti.
P.-G. L.
Franz Schubert (1797-1828)
Le fils du musicologue possède les droits de l'oeuvre.
The son of the musicologist owns the rights of the works.
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