Communauté de scientifiques créée par Louis Lapicque et Charles Seignobos
Paul-Eric Langevin
« La véritable science apprend avant tout à douter »
Miguel de Unamuno
En 1898, le physiologiste Louis
Lapicque, ainsi que son ami l’historien Charles Seignobos, découvrent un lieu de
villégiature très agréable : la petite commune de l’Arcouest en Bretagne,
dans les Côtes d’Armor, non loin de Paimpol, petite ville de pêcheurs. Assez
rapidement, ils se font construire des maisons pour y passer les vacances d’été
et y invitent leurs amis professeurs à la Sorbonne, ce qui donnera à l’endroit
l’appellation de Sorbonne Plage. Sont invités entre autres les Perrin, les
Curie, les Joliot, les Auger, les Langevin, les Maurain, les Borel, les Chavannes.
Au
total, plus d’une vingtaine de familles se rapprochent ainsi pendant l’été. La
plupart sont scientifiques mais aussi historiens, sinologues, philosophes ou
artistes. Cette petite communauté très soudée au fil des années, profite de
l’ambiance estivale pour découvrir la joie des bains de mer, de la navigation
aux alentours de l’île de Bréhat et du sport, notamment la pêche à la crevette
mais aussi le tennis, introduit dans cette communauté par André Debierne, quand
les débats ne tournent pas autour de la vie intellectuelle et politique, ainsi
que de l’actualité de la recherche scientifique.
Marie
Curie, qui vient souvent avec ses filles, se fait construire, après la mort
accidentelle de son mari Pierre Curie en 1906, une petite maison donnant sur la
baie, avec l’argent de son prix Nobel de chimie datant de 1911. De la même
façon, Jean Perrin qui obtient le prix Nobel de physique en 1926 pour ses
travaux sur la discontinuité de la matière, utilise aussi l’argent pour faire
construire une grande maison aux alentours, baptisée Ti Yann. Les années
passant, les vacanciers ont bientôt des enfants et des petits-enfants, qui deviendront les deuxième
et troisième générations d’arcouestiens.
Seignobos
n’a pas de descendance et après sa mort, sa maison sera vendue. Mais ses
ouvrages sur l’histoire de la France, de l’Europe et de la Grèce ancienne resteront
des références dans le domaine. Il est aussi un grand connaisseur de chansons
pour le plaisir des uns et des autres. Lapicque, qui a une œuvre importante en
physiologie, avec en particulier la description de la notion de chronaxie, a
constitué aussi au cours de ses voyages une œuvre anthropologique. Avec sa
femme Marcelle de Heredia, il adopte leur neveu devenu orphelin, Charles Lapicque,
qui devient peintre après des études scientifiques et hérite de la maison de
Roch Ar Had. Ce dernier construit une œuvre picturale importante très
influencée par son passe-temps de mélomane et par l’ambiance de la mer, et écrit
un essai sur l’espace, l’art et la destinée.
Quant
à Francis Perrin, le fils du physicien, il passe un doctorat de mathématiques
et un de physique et devient le Haut commissaire à l’énergie atomique du Général de
Gaulle. Il hérite de la maison de Ti Yann. La maison de Marie Curie revient,
après sa mort en 1934, à sa fille Irène et à son gendre Frédéric Joliot.
L’histoire de l’Arcouest, c’est aussi l’histoire des débuts du nucléaire
français : Frédéric et Irène créent le Commissariat à l’Energie Atomique
(CEA) après la seconde guerre mondiale, avec l’aide notamment de Pierre Auger, Francis
Perrin, Jean Langevin et Pierre Biquard. Frédéric Joliot est aussi un habitué de
la pêche, de la navigation, des bals et des soirées de chant
organisées avec les amis.
L’autre
fille des Curie, Eve, commence une carrière de pianiste puis devient
journaliste et écrivain. Elle écrit un livre à succès à propos de sa mère, « Madame
Curie », ainsi qu’un long roman, « Voyage parmi les guerriers ». En 1940, elle
rejoint la France Libre en Angleterre. Elle partira vivre aux Etats-Unis où
elle épousera le diplomate Henry Labouisse, directeur de l’UNICEF, et s’occupera
des réfugiés palestiniens. Mais la région est aussi le pays d’accueil de Pierre
Loti, l’auteur de « Pêcheur d’Islande » ainsi que de J.H. Rosny
Aîné, l’auteur de « la Guerre du Feu » et de son frère J.H. Rosny
Jeune. Lénine lui-même fait un séjour à Sorbonne Plage à une époque antérieure.
Le
mathématicien Emile Borel est marié à Camille Marbo, qui est écrivain et dirige
la Société des Gens de Lettres. Son livre « Souvenirs et rencontres : à
travers deux siècles » est un recueil de souvenirs sur l’histoire de l’Arcouest
au cours du vingtième siècle. Borel,
fondateur de la théorie de la mesure et du calcul des probabilités en
mathématiques et futur ministre de la Marine, discute longuement dans cette
ambiance de vacances de physique mathématique avec mon grand-père, le physicien
Paul Langevin, auteur notamment du paradoxe des jumeaux en relativité restreinte, ainsi que
de travaux reconnus sur le magnétisme et la physique statistique.
Sa fille Madeleine Langevin a épousé Albert Varloteau, ouvrier syndicaliste. Ils se sont installés dans une maison construite à Bois-le-Roi, près de Fontainebleau, après un long voyage en Amérique du Sud. Quant à Bernard Langevin, surnommé Tiapa, il est devenu guide de haute montagne, a fait des conférences sur son grand-père et conserve ses archives, qu’il transmet plus tard au Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne. Moi-même, je conserve aussi des archives sur son oeuvre, ainsi que les travaux de ma grand-mère, Eliane Montel, sa compagne.
Sa fille Madeleine Langevin a épousé Albert Varloteau, ouvrier syndicaliste. Ils se sont installés dans une maison construite à Bois-le-Roi, près de Fontainebleau, après un long voyage en Amérique du Sud. Quant à Bernard Langevin, surnommé Tiapa, il est devenu guide de haute montagne, a fait des conférences sur son grand-père et conserve ses archives, qu’il transmet plus tard au Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne. Moi-même, je conserve aussi des archives sur son oeuvre, ainsi que les travaux de ma grand-mère, Eliane Montel, sa compagne.
Les
enfants de Paul Langevin se lieront d’amitié avec les autres enfants du groupe.
Son gendre, Jacques Solomon, physicien, résistant et communiste, sera fusillé
par l'occupant en 1942 en même temps que son ami Georges Politzer,
philosophe marxiste, auteur des « Principes élémentaires de philosophie », d’une « Critique des fondements de la psychologie » ainsi que d’une critique des travaux d'Henri Bergson. Il avait eu l’occasion d’assister aux séminaires de Sigmund Freud et
de Sandor Ferenczi à Vienne.
Avant
la Première guerre mondiale, les scientifiques présents créent une série de cours
d’introduction à la science pour leurs enfants. Ils sont proches des mouvements
éducatifs d’avant-garde comme le Groupe Français d’Education Nouvelle. Certains
des cours donnés par Marie Curie aux enfants ont récemment été publiés.
Plusieurs
livres et publications peuvent être consultés concernant Sorbonne Plage, qui a
été aussi nommé Fort-la-Science. En particulier, il existe un documentaire
radiophonique ainsi qu’un autre passé à la télévision. Une exposition a été
présentée à la BNF en 2008 sur le sujet.
J’ai
moi-même eu l’occasion de m’y rendre deux fois, la première fois en 2003 et la
deuxième fois en 2011. Je remercie particulièrement mes cousins Noémie
et Yves Koechlin de m’avoir fait découvrir ce pan de notre histoire
scientifique et je souhaite rendre hommage à ce dernier qui est décédé
accidentellement en 2011 à l’âge de 89 ans.
Paul-Eric Langevin
Paul-Eric Langevin
2012
Références :
- « A travers deux siècles : souvenirs et rencontres » de Camille Marbo, Grasset, 1967
- « Lettres » de Marie Curie et ses filles, Pygmalion, 2011
Frédéric, Irène et Pierre Joliot